476
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
dire peu agréable, tant le talent du peintre réussit à nous le faire
accepter. Sous une tonnelle de pampres, une grande toile est posée
à terre, ramassée sur elle-même, soulevée en gros bouillons. La
corde qui ourle un des côtés est tendue entre des pieux et forme
une ligne rigide, dont la perspective monte au milieu du tableau.
Des femmes, un homme sont là, Cousant la voile. Un soleil ardent
perce les branches, sème sur la voile aux blancs crémeux de fantai-
sistes arabesques, des étoiles de lumière éblouissante, qui éclairent
de reflets les tètes rieuses, les corsages d’indienne rose ou blanche,
accrochent des accents au bord d'une manche, sur un bras grassouillet
de femme, puis sur la chemise à carreaux de l’homme et sur son
grand chapeau de paille. Sur les poteaux, sur les piliers peinture-
lurés, des bleus, qu’un œil plus timide aurait voulu atténuer, s’exal-
tent au contraire, se mêlent aux tons orangés des pots de terre cuite;
puis c’est un fouillis de plantes, de vigne ensoleillée aux verts miroi-
tants, rehaussés du rouge strident de tleurs de géraniums. Comme
l'ombre est juste et comme son rapport est excellent avec celui de la
lumière! et, nouvelle difficulté vaincue, avec ce premier plan, où
toutes les ressources de la palette semblent épuisées, Sorolla trouve
le moyen d'ouvrir au fond du tableau une vue sur la campagne,
assoupie sous un soleil d'aplomb, avec un ciel bleu qui est encore
de la lumière. C’est une peinture de qualités toutes extérieures,
c’est la gaieté, la joie de voir, la santé en un mot. Et celte sensualité
de l’œil est exprimée sans faconde, sans procédés bizarres. Cela nous
repose de tant d’hallucinations plus ou moins factices, qui semblent
exhaler comme un relent de morphine, maladie qui se propage chez
beaucoup de nos jeunes gens, mais qui ne durera pas, je l’espère.
Chez Sorolla, pas de recherches inutiles, pas d’extravagances de
métier, pas de cette cuisine dont certains abusent, bonne tout au plus
pour truquer un faux tableau ancien, qui ne trompera personne et
ne saurait combler les lacunes d’un talent qui en est encore à se
chercher.
ALBERT 31 A I G N A N
(La fin prochainement. )
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
dire peu agréable, tant le talent du peintre réussit à nous le faire
accepter. Sous une tonnelle de pampres, une grande toile est posée
à terre, ramassée sur elle-même, soulevée en gros bouillons. La
corde qui ourle un des côtés est tendue entre des pieux et forme
une ligne rigide, dont la perspective monte au milieu du tableau.
Des femmes, un homme sont là, Cousant la voile. Un soleil ardent
perce les branches, sème sur la voile aux blancs crémeux de fantai-
sistes arabesques, des étoiles de lumière éblouissante, qui éclairent
de reflets les tètes rieuses, les corsages d’indienne rose ou blanche,
accrochent des accents au bord d'une manche, sur un bras grassouillet
de femme, puis sur la chemise à carreaux de l’homme et sur son
grand chapeau de paille. Sur les poteaux, sur les piliers peinture-
lurés, des bleus, qu’un œil plus timide aurait voulu atténuer, s’exal-
tent au contraire, se mêlent aux tons orangés des pots de terre cuite;
puis c’est un fouillis de plantes, de vigne ensoleillée aux verts miroi-
tants, rehaussés du rouge strident de tleurs de géraniums. Comme
l'ombre est juste et comme son rapport est excellent avec celui de la
lumière! et, nouvelle difficulté vaincue, avec ce premier plan, où
toutes les ressources de la palette semblent épuisées, Sorolla trouve
le moyen d'ouvrir au fond du tableau une vue sur la campagne,
assoupie sous un soleil d'aplomb, avec un ciel bleu qui est encore
de la lumière. C’est une peinture de qualités toutes extérieures,
c’est la gaieté, la joie de voir, la santé en un mot. Et celte sensualité
de l’œil est exprimée sans faconde, sans procédés bizarres. Cela nous
repose de tant d’hallucinations plus ou moins factices, qui semblent
exhaler comme un relent de morphine, maladie qui se propage chez
beaucoup de nos jeunes gens, mais qui ne durera pas, je l’espère.
Chez Sorolla, pas de recherches inutiles, pas d’extravagances de
métier, pas de cette cuisine dont certains abusent, bonne tout au plus
pour truquer un faux tableau ancien, qui ne trompera personne et
ne saurait combler les lacunes d’un talent qui en est encore à se
chercher.
ALBERT 31 A I G N A N
(La fin prochainement. )