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GAZETTE DES BEAUX-ART^
OCÉANIDE
(Peinture de Th. Chassériau. — Palais de la Cour des Comptes)
moréen de son torse, fait penser au Paros et au Pentéliqne d’où ses chefs-
d’œuvre sont tirés... La Musique, l’air vague et mystérieux, l'œil noyé et
levé au ciel, la Louche entr’ouverte et laissant échapper comme un brouil-
lard sonore, presse son téorbe sur son cœur ; non loin d’elle, la Science,
ayant à ses genoux un jeune sauvage bariolé de tatouages, lui apprend les
choses connues...
» Toutes ces fabriques, ce paysage entremêlé de grands arbres qui
s'élancent gaiement dans la limpidité bleue de l’air, sont du plus grand
style... »
Un voyage en Italie avait, en effet, passionné le peintre, en
1840, pour le paysage élyséen que l’art académique a si laidement
dénaturé, et, le premier de son temps, à l’époque où Papéty,
Lehmann et l'atelier d’Ingres parodiaient réellement la nature,
Chassériau peignait dans la Paix, mieux que le maître lui-même à
Dampierre, une figuration de plein air harmonieux.
Une grande formule d’art libre est née ; au geste de la Paix, les
conventions du faux style ont fait place aux conceptions de la pensée
et de la poésie modernes, et la route est ouverte, on le sent, à l'éman-
cipation. Chassériau est l'initiateur ! L’importance de ce panneau
pour l’histoire de la peinture décorative française est, de toute façon,
décisive.
Deux panneaux flanquaient cette vision, séparés d'elle par des
colonnes, comme les volets d’un triptyque : c’étaient les motifs
géminés d’un thème figurant le Commerce rapprochant les peuples.
L’un d’eux a péri ; le second, protégé par des bâches solides, à l’en-
tretien desquelles veilla pendant un quart de siècle la sollicitude
anxieuse de la famille de Chassériau, a survécu sans trop souffrir.
Gautier, le bon esthète, les décrivait ainsi, alors qu’ils étaient
dans la fleur de leur étrange séduction :
« Le pendentif de gauche nous montre le port d’une ville orientale ; la
GAZETTE DES BEAUX-ART^
OCÉANIDE
(Peinture de Th. Chassériau. — Palais de la Cour des Comptes)
moréen de son torse, fait penser au Paros et au Pentéliqne d’où ses chefs-
d’œuvre sont tirés... La Musique, l’air vague et mystérieux, l'œil noyé et
levé au ciel, la Louche entr’ouverte et laissant échapper comme un brouil-
lard sonore, presse son téorbe sur son cœur ; non loin d’elle, la Science,
ayant à ses genoux un jeune sauvage bariolé de tatouages, lui apprend les
choses connues...
» Toutes ces fabriques, ce paysage entremêlé de grands arbres qui
s'élancent gaiement dans la limpidité bleue de l’air, sont du plus grand
style... »
Un voyage en Italie avait, en effet, passionné le peintre, en
1840, pour le paysage élyséen que l’art académique a si laidement
dénaturé, et, le premier de son temps, à l’époque où Papéty,
Lehmann et l'atelier d’Ingres parodiaient réellement la nature,
Chassériau peignait dans la Paix, mieux que le maître lui-même à
Dampierre, une figuration de plein air harmonieux.
Une grande formule d’art libre est née ; au geste de la Paix, les
conventions du faux style ont fait place aux conceptions de la pensée
et de la poésie modernes, et la route est ouverte, on le sent, à l'éman-
cipation. Chassériau est l'initiateur ! L’importance de ce panneau
pour l’histoire de la peinture décorative française est, de toute façon,
décisive.
Deux panneaux flanquaient cette vision, séparés d'elle par des
colonnes, comme les volets d’un triptyque : c’étaient les motifs
géminés d’un thème figurant le Commerce rapprochant les peuples.
L’un d’eux a péri ; le second, protégé par des bâches solides, à l’en-
tretien desquelles veilla pendant un quart de siècle la sollicitude
anxieuse de la famille de Chassériau, a survécu sans trop souffrir.
Gautier, le bon esthète, les décrivait ainsi, alors qu’ils étaient
dans la fleur de leur étrange séduction :
« Le pendentif de gauche nous montre le port d’une ville orientale ; la