120
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
nobles silhouettes. Les murs du fond de cette -vaste loggia ducale
étaient peints à fresque de la base au faîte ; on peut encore juger
du caractère héroïque des sujets choisis. Dans l'axe, une porte in-
dique l’entrée réservée aux habitants de la ville, donnant sur une
vaste pièce servant de foyer.
Le proscenium, aussi long à lui seul que toute la salle, a été en-
tièrement modifié ; il est réduit à une scène moderne avec coulisse,
rideau et manteau d'arlequin ; la coupe du dessin original du maître
montre que la scène antique représentait un grand carrefour, avec
perspective d'une large voie bordée d’édifices qui n’étaient point
seulement simulés sur la toile, comme nos décors, mais bien « prati-
cables », en relief, avec mouvements de plan et saillies « ad imiia-
zione ciel naluralie », dit Scamozzi, qui a lui-même décrit son œuvre.
Cette suppression, avec l’abaissement du « ciel » du théâtre qui créait
l'illusion du plein air, constitue la seule modification sérieuse qu’ait
subie le monument.
Le parti pris de la façade, qui est très simple, se répète sur trois
faces; les proportions en sont nobles et d’une belle unité; entre les
pilastres, Scamozzi a réservé des niches, de forme ovale, qui abri-
taient des séries de bustes en terre cuite dont quelques-uns existent
encore. L'imprésario était un Ferrarais, nommé Sylvio de Gambi ;
le prince lui allouait une subvention annuelle de quatre cents écus
d’or pour la saison, et il était tenu de « réciter » soixante jours par
an, soit vingt jours en carnaval, vingt jours à Pâques, et les autres
à des fêles déterminées ou lors d'extras prévus d’avance. Tout le
reste de l'année, cet imprésario pouvait, à ses risques et périls, don-
ner des représentations dans toute autre ville de la province. Le
succès fut grand ; les Mantouans, malgré leur théâtre du Castello
Vecchio, les pompes de la cour et les brillants tournois dans la
cavalleria delà Reggia de Jules Romain, ne dédaignaient pas d’as-
sister aux représentations, et l’on y vint de toute l’Italie. La déca-
dence du théâtre à l’antique date du siège de Mantouc ; c’est à la fin
du règne des Gonzague que la municipalité a mis la main sur le
monument. Dans les premiers jours du siècle, on a réduit la scène à
l’état actuel, et, à l’heure où nous séjournons ici, des forains qui
mènent de front la comedia dell' arte et l’opéra, chantent du Verdi
au piano devant quelques rares spectateurs disséminés dans la vaste
loggia et d’autres assis sur les gradins de l’amphithéâtre.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
nobles silhouettes. Les murs du fond de cette -vaste loggia ducale
étaient peints à fresque de la base au faîte ; on peut encore juger
du caractère héroïque des sujets choisis. Dans l'axe, une porte in-
dique l’entrée réservée aux habitants de la ville, donnant sur une
vaste pièce servant de foyer.
Le proscenium, aussi long à lui seul que toute la salle, a été en-
tièrement modifié ; il est réduit à une scène moderne avec coulisse,
rideau et manteau d'arlequin ; la coupe du dessin original du maître
montre que la scène antique représentait un grand carrefour, avec
perspective d'une large voie bordée d’édifices qui n’étaient point
seulement simulés sur la toile, comme nos décors, mais bien « prati-
cables », en relief, avec mouvements de plan et saillies « ad imiia-
zione ciel naluralie », dit Scamozzi, qui a lui-même décrit son œuvre.
Cette suppression, avec l’abaissement du « ciel » du théâtre qui créait
l'illusion du plein air, constitue la seule modification sérieuse qu’ait
subie le monument.
Le parti pris de la façade, qui est très simple, se répète sur trois
faces; les proportions en sont nobles et d’une belle unité; entre les
pilastres, Scamozzi a réservé des niches, de forme ovale, qui abri-
taient des séries de bustes en terre cuite dont quelques-uns existent
encore. L'imprésario était un Ferrarais, nommé Sylvio de Gambi ;
le prince lui allouait une subvention annuelle de quatre cents écus
d’or pour la saison, et il était tenu de « réciter » soixante jours par
an, soit vingt jours en carnaval, vingt jours à Pâques, et les autres
à des fêles déterminées ou lors d'extras prévus d’avance. Tout le
reste de l'année, cet imprésario pouvait, à ses risques et périls, don-
ner des représentations dans toute autre ville de la province. Le
succès fut grand ; les Mantouans, malgré leur théâtre du Castello
Vecchio, les pompes de la cour et les brillants tournois dans la
cavalleria delà Reggia de Jules Romain, ne dédaignaient pas d’as-
sister aux représentations, et l’on y vint de toute l’Italie. La déca-
dence du théâtre à l’antique date du siège de Mantouc ; c’est à la fin
du règne des Gonzague que la municipalité a mis la main sur le
monument. Dans les premiers jours du siècle, on a réduit la scène à
l’état actuel, et, à l’heure où nous séjournons ici, des forains qui
mènent de front la comedia dell' arte et l’opéra, chantent du Verdi
au piano devant quelques rares spectateurs disséminés dans la vaste
loggia et d’autres assis sur les gradins de l’amphithéâtre.