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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Per. 19.1898

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Nr. 3
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Bonnat, Léon: Velazquez
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https://doi.org/10.11588/diglit.24683#0192

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VELAZQUEZ

179

J’arrive au merveilleux portrait de Philippe IV. Le roi est de
profil sur son magnifique cheval aux courbettes savantes, l’œil
atone et tombant, la lèvre autrichienne en avant, noble et fier
comme il sied à un descendant de Charles-Quint. Peut-on rien voir
de plus saisissant, de plus impressionnant et de plus tragique que
ce roi qui, sous un ciel éclatant, sourd aux bruits de révolte qui
grondent au loin, chevauche imperturbablement, par monts et par
vaux, tandis qu’en ses mains défaillantes l'héritage du grand
Empereur se dissout, s’émiette et se démembre irrévocablement,
pour toujours !

Velâzquez, avec son génie, a traduit toute son époque. Par son
intuition, par sa vision pénétrante, il représente cette cour triste et
morne mieux que nul historien n’eût su le faire. Pauvre cour !
Pour se dérider, pour oublier les malheurs du présent, les gran-
deurs écrasantes du passé, elle est forcée de s’entourer de bouffons
et de fous, et l’on y plaisantait si peu, à cette cour d’Espagne, qu’un
de ses rois, Philippe III, je crois, voyant des fenêtres de son palais
un homme qui riait, dit gravement : « Ou cet homme est fou ou il
lit Don Quichotte ». Vérification faite, l’homme, dit-on, lisait Don
Quichotte. Une seule note, au milieu de ces personnages graves, à la
physionomie morne, aux vêtements sobres, une seule note vient
jeter un éclair de gaîté sur ce monde attristé : c’est, dans les Meninas,
le sourire fin et malicieux de la mignonne infante Marguerite. C’est
à Velâzquez que nous la devons.

L’art espagnol est avant tout un art austère, assombri par je ne
sais quel reflet d’inquisition, de réclusion claustrale, de religion mo-
nacale. Il se préoccupe à son insu du milieu qui l’entoure et obéit aux
inspirations que ce milieu lui suggère. Voyez les églises! Elles sont
sombres : la lumière du ciel y pénètre à peine; les voûtes et les nefs
se perdent dans le mystère : et quand, à la nuit tombante, dans les
lueurs indécises des cierges fumeux, vous entendez les prières des
fidèles psalmodiées sur un ton grave et monotone, vous êtes saisi
d’un vague sentiment de terreur, vous éprouvez des impressions
d’un au-delà inconnu et terrible; on croit entrevoir les flammes de
l’enfer, on entend les plaintes sourdes des damnés. Les Christs sont
des squelettes à peine recouverts de chair, aux plaies saignantes. Les
Vierges, impassibles dans leurs auréoles d’or, étincelantes de
pierreries, sont invariablement emprisonnées dans un vêtement tri-
angulaire d’une rigididité implacable. Toute évocation, tout senti-
ment de forme humaine doivent disparaître ; ainsi le veut le prêtre.
 
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