LES INFLUENCES CLASSIQUES DANS LES FLANDRES 293
dire la note dévotieuse, humble, poignante. Qui a vu une de ses
Mises au tombeau les a toutes vues. Faites sortir du cycle religieux
n’importe lequel de ses champions, demandez-lui d’interpréter les
élans du patriotisme, le courage militaire, les sentiments qui récon-
fortent, il en sera incapable. Serait-ce que le contact avec les races
du Midi est indispensable pour enflammer l’imagination, pour en-
seigner l’éloquence ?
C’est parce qu’en Flandre l’art, bien plus que la civilisation,
manquait à ce point des fortes assises et de la forte armature propres
à l’Italie, à la France, à l’Allemagne, que la Renaissance eut tant de
peine à y fleurir ; ou plutôt, il fallut à la
Flandre cent ans de plus qu’aux autres
nations pour s’assimiler tant de principes
féconds; la Renaissance, sur les bords de
la Meuse et de F Escaut, n’arrive à son
apogée qu’au xvue siècle, avec le grand
Rubens, non au xvie, avec les romanistes
médiocres. On ne saurait trop insister sur
ce retard; il a son origine dans une loi qui
se vérifie d’un bout à l’autre de l’histoire.
Seules les nations ayant un fonds de cul-
ture suffisamment développé sont capables
de transformer en chair et en sang les en-
seignements venus de l’étranger. Les au-
tres copient servilement.
L’art italien du xv° siècle a dû sa supériorité sur l’art septen-
trional plus encore à la science qu’au talent personnel de ses repré-
sentants. Ce n’est point tant parla puissance de la conception ou de
l’expression que ceux-ci l’emportent sur leurs confrères d’outre-
monts : c’est par leur connaissance plus exacte de l’ordonnance, de
la perspective, de l’anatomie, de la physionomie, toutes disciplines
qui s’enseignent. L’élément didactique joue donc un rôle prépondé-
rant dans leurs efforts, qui ont été merveilleusement secondés et
vivifiés par un goût affiné à l’étude de l’antique.
Des deux côtés, d’ailleurs, la meme ardeur. Rien qu’à Garni, on
compte, de 1338 à 1410, 231 peintres contre 29 sculpteurs. A Anvers,
en 1396, il y avait cinq ateliers de peintres contre quinze bou-
langeries1. Des deux côtés aussi, une réelle sincérité, une curiosité
qui s’étendait à la nature animée tout entière, aux oiseaux, aux
1. Michiels, Histoire de la peinture flamande, t. II, p. 28.
MINIATURE UES GRANDES HEURES
DU DUC DE BERRY
(Bibliollicquc Nationale.
dire la note dévotieuse, humble, poignante. Qui a vu une de ses
Mises au tombeau les a toutes vues. Faites sortir du cycle religieux
n’importe lequel de ses champions, demandez-lui d’interpréter les
élans du patriotisme, le courage militaire, les sentiments qui récon-
fortent, il en sera incapable. Serait-ce que le contact avec les races
du Midi est indispensable pour enflammer l’imagination, pour en-
seigner l’éloquence ?
C’est parce qu’en Flandre l’art, bien plus que la civilisation,
manquait à ce point des fortes assises et de la forte armature propres
à l’Italie, à la France, à l’Allemagne, que la Renaissance eut tant de
peine à y fleurir ; ou plutôt, il fallut à la
Flandre cent ans de plus qu’aux autres
nations pour s’assimiler tant de principes
féconds; la Renaissance, sur les bords de
la Meuse et de F Escaut, n’arrive à son
apogée qu’au xvue siècle, avec le grand
Rubens, non au xvie, avec les romanistes
médiocres. On ne saurait trop insister sur
ce retard; il a son origine dans une loi qui
se vérifie d’un bout à l’autre de l’histoire.
Seules les nations ayant un fonds de cul-
ture suffisamment développé sont capables
de transformer en chair et en sang les en-
seignements venus de l’étranger. Les au-
tres copient servilement.
L’art italien du xv° siècle a dû sa supériorité sur l’art septen-
trional plus encore à la science qu’au talent personnel de ses repré-
sentants. Ce n’est point tant parla puissance de la conception ou de
l’expression que ceux-ci l’emportent sur leurs confrères d’outre-
monts : c’est par leur connaissance plus exacte de l’ordonnance, de
la perspective, de l’anatomie, de la physionomie, toutes disciplines
qui s’enseignent. L’élément didactique joue donc un rôle prépondé-
rant dans leurs efforts, qui ont été merveilleusement secondés et
vivifiés par un goût affiné à l’étude de l’antique.
Des deux côtés, d’ailleurs, la meme ardeur. Rien qu’à Garni, on
compte, de 1338 à 1410, 231 peintres contre 29 sculpteurs. A Anvers,
en 1396, il y avait cinq ateliers de peintres contre quinze bou-
langeries1. Des deux côtés aussi, une réelle sincérité, une curiosité
qui s’étendait à la nature animée tout entière, aux oiseaux, aux
1. Michiels, Histoire de la peinture flamande, t. II, p. 28.
MINIATURE UES GRANDES HEURES
DU DUC DE BERRY
(Bibliollicquc Nationale.