GAZETTE DES BEAUX-ARTS
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La vente du marquis de Marigny (1782) fut tout de suite comme
une belle promesse d’avenir. Elle était, à la vérité, fournie d’un choix
de trente-sept miniatures, «faites avec le plus grand soin», disait
le catalogue. On sait l’intérêt de curiosité de cette vente pour les
contemporains et pour nous: la majeure partie des œuvres prove-
nait de la succession de Mme de Pompadour, et, de cette collection
fondue de la sœur et du frère, les enchères furent tout un événement
pour l'époque. Mais cette dualité semble bien de nature à brouiller
l’origine des Portail rassemblés là; étaient-ils du choix et de la
commande du directeur général des arts à son habile subordonné?
ou bien la jolie protectrice des gens à talents s’était-elle réservé l’heu-
reux mérite de les dicter, pièce par pièce, sujet par sujet, à l’artiste
lui-même? En tous cas, leur ensemble faisait, au résultat, la suite
la plus variée. Il y avait cinq portraits « de jeunes et jolies femmes »,
dont Mme Elisabeth de France, duchesse de Parme, sous la figure de
LAurore, une Diane, une Vénus, onze têtes de femmes de différents
caractères, puis seize natures mortes, puis vingt-trois dessins au
crayon, dix-sept paysages et vues à la pierre noire. Et les études de
sanguine ne forent pas les moins convoitées ni payées.
Trente ans se passent (1811), et, par une surprise étrange, à
l’heure même où les élèves de l’atelier de David criblaient de bou-
lettes de pain les tableaux de Wattcau et de Boucher, l’expert
Regnault-Delalande recommande à l’attention délicate des amateurs
près de quatre-vingts sanguines, de provenance et de qualité incon-
testables : c’est la vente du riche cabinet d’Augustin de Silvestre,
maître à dessiner des Enfants de France. Héritier de cette charge de
cour, dont les siens étaient en possession depuis Israël Silvestre, Au-
gustin avait, en outre, trouvé dans la succession de son père, gendre
du graveur Lebas, une ample collection d’estampes et de dessins.
Charles de Silvestre, bien connu des amateurs d’alors pour sa passion
des raretés de la gravure et du dessin, avait eu ses beaux jours de
professeur royal, au plein moment de l’activité administrative de
Portail. De 1710 à 1760, la famille royale fut une véritable ruche
d’art : Marie Leczinska, le dauphin, la dauphine, Mesdames de
France, tous peignent ou dessinent, et fréquentes sont les notes
d’archives, adressées à la surintendance, pour mettre à la disposition
de l’une ou l’autre des princesses les tableaux de maîtres dont elles
désirent tirer copie. Portail et Charles de Silvestre avaient là des
rencontres de service ; mais l’occasion presque journalière de se
voir, elle était dans leur vie même d’artistes du château. S’imagine-
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La vente du marquis de Marigny (1782) fut tout de suite comme
une belle promesse d’avenir. Elle était, à la vérité, fournie d’un choix
de trente-sept miniatures, «faites avec le plus grand soin», disait
le catalogue. On sait l’intérêt de curiosité de cette vente pour les
contemporains et pour nous: la majeure partie des œuvres prove-
nait de la succession de Mme de Pompadour, et, de cette collection
fondue de la sœur et du frère, les enchères furent tout un événement
pour l'époque. Mais cette dualité semble bien de nature à brouiller
l’origine des Portail rassemblés là; étaient-ils du choix et de la
commande du directeur général des arts à son habile subordonné?
ou bien la jolie protectrice des gens à talents s’était-elle réservé l’heu-
reux mérite de les dicter, pièce par pièce, sujet par sujet, à l’artiste
lui-même? En tous cas, leur ensemble faisait, au résultat, la suite
la plus variée. Il y avait cinq portraits « de jeunes et jolies femmes »,
dont Mme Elisabeth de France, duchesse de Parme, sous la figure de
LAurore, une Diane, une Vénus, onze têtes de femmes de différents
caractères, puis seize natures mortes, puis vingt-trois dessins au
crayon, dix-sept paysages et vues à la pierre noire. Et les études de
sanguine ne forent pas les moins convoitées ni payées.
Trente ans se passent (1811), et, par une surprise étrange, à
l’heure même où les élèves de l’atelier de David criblaient de bou-
lettes de pain les tableaux de Wattcau et de Boucher, l’expert
Regnault-Delalande recommande à l’attention délicate des amateurs
près de quatre-vingts sanguines, de provenance et de qualité incon-
testables : c’est la vente du riche cabinet d’Augustin de Silvestre,
maître à dessiner des Enfants de France. Héritier de cette charge de
cour, dont les siens étaient en possession depuis Israël Silvestre, Au-
gustin avait, en outre, trouvé dans la succession de son père, gendre
du graveur Lebas, une ample collection d’estampes et de dessins.
Charles de Silvestre, bien connu des amateurs d’alors pour sa passion
des raretés de la gravure et du dessin, avait eu ses beaux jours de
professeur royal, au plein moment de l’activité administrative de
Portail. De 1710 à 1760, la famille royale fut une véritable ruche
d’art : Marie Leczinska, le dauphin, la dauphine, Mesdames de
France, tous peignent ou dessinent, et fréquentes sont les notes
d’archives, adressées à la surintendance, pour mettre à la disposition
de l’une ou l’autre des princesses les tableaux de maîtres dont elles
désirent tirer copie. Portail et Charles de Silvestre avaient là des
rencontres de service ; mais l’occasion presque journalière de se
voir, elle était dans leur vie même d’artistes du château. S’imagine-