476
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
avait été large et souple, autant celle de leurs successeurs devint
étroite et systématique.
L’école flamande, telle qu’elle s’est manifestée depuis le milieu
du xve siècle jusqu’au début du xvie, cette école si homogène et si
exclusive, a été façonnée, non par ces génies grands et libres,
ouverts à toutes les impressions, mais par l’étroit et autoritaire
Rogier van der Weyden. C'est lui qui lui a imprimé l’unité et lui
a dicté le code auquel elle a obéi si
longtemps. Yeut-on une preuve du
parti pris avec lequel il étudiait la
nature, de l’intolérance et de la faus-
seté de son interprétation ? Que l’on
considère, soit ses types, si pauvres,
si humbles, soit ses corps, si mai-
gres et si ascétiques. Cette humilité
n’était pas dans les mœurs, qui pé-
chaient plutôt par l’exubérance. Cette
maigreur n’était pas dans les types :
on sait combien ils sont opulents.
Rogier a donc substitué sa vision par-
ticulière, son parti pris, à une inter-
prétation normale et adéquate.
Mais si déjà le maître avait si
gravement altéré la réalité, comment
accorder le titre si enviable de réa-
listes ou naturalistes aux disciples
qui n’ont plus fait que copier sa manière? Est-il nécessaire, après
ces constatations qui sautent aux yeux, de proclamer combien de
lieux communs, combien de formules d’atelier peuplent ces tableaux,
en apparence inspirés par le seul amour de la nature ? N’est pas
réaliste qui veut ! Un réalisme qui se transmet, mais c’est la néga-
tion même du réalisme ! Celui-ci suppose chez tout artiste une vue
sincère, spontanée, affranchie de toute tradition. Les Flamands, au
contraire, sacrifient sans cesse à la tradition, je veux dire à la
tradition du laid. Ainsi, voilà une école qui s’attache à ne mettre
en lumière que ce qu’il y a de désagréable et de pauvre, et qui re-
lègue dans l’ombre ce qu’il y a de beau et de noble. A ce compte,
ils sont réalistes dans le mauvais sens du mot, non naturalistes,
comme les Italiens, dont certains,, Piero délia Francesca, par
exemple, copiaient avec impartialité et le beau et le laid.
CHEMINÉE ORNÉE DE MOTIFS ANTIQUES
Par Thierry Bouts (Musée de Bruxelles).
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
avait été large et souple, autant celle de leurs successeurs devint
étroite et systématique.
L’école flamande, telle qu’elle s’est manifestée depuis le milieu
du xve siècle jusqu’au début du xvie, cette école si homogène et si
exclusive, a été façonnée, non par ces génies grands et libres,
ouverts à toutes les impressions, mais par l’étroit et autoritaire
Rogier van der Weyden. C'est lui qui lui a imprimé l’unité et lui
a dicté le code auquel elle a obéi si
longtemps. Yeut-on une preuve du
parti pris avec lequel il étudiait la
nature, de l’intolérance et de la faus-
seté de son interprétation ? Que l’on
considère, soit ses types, si pauvres,
si humbles, soit ses corps, si mai-
gres et si ascétiques. Cette humilité
n’était pas dans les mœurs, qui pé-
chaient plutôt par l’exubérance. Cette
maigreur n’était pas dans les types :
on sait combien ils sont opulents.
Rogier a donc substitué sa vision par-
ticulière, son parti pris, à une inter-
prétation normale et adéquate.
Mais si déjà le maître avait si
gravement altéré la réalité, comment
accorder le titre si enviable de réa-
listes ou naturalistes aux disciples
qui n’ont plus fait que copier sa manière? Est-il nécessaire, après
ces constatations qui sautent aux yeux, de proclamer combien de
lieux communs, combien de formules d’atelier peuplent ces tableaux,
en apparence inspirés par le seul amour de la nature ? N’est pas
réaliste qui veut ! Un réalisme qui se transmet, mais c’est la néga-
tion même du réalisme ! Celui-ci suppose chez tout artiste une vue
sincère, spontanée, affranchie de toute tradition. Les Flamands, au
contraire, sacrifient sans cesse à la tradition, je veux dire à la
tradition du laid. Ainsi, voilà une école qui s’attache à ne mettre
en lumière que ce qu’il y a de désagréable et de pauvre, et qui re-
lègue dans l’ombre ce qu’il y a de beau et de noble. A ce compte,
ils sont réalistes dans le mauvais sens du mot, non naturalistes,
comme les Italiens, dont certains,, Piero délia Francesca, par
exemple, copiaient avec impartialité et le beau et le laid.
CHEMINÉE ORNÉE DE MOTIFS ANTIQUES
Par Thierry Bouts (Musée de Bruxelles).