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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
outre leurs bonnes figures ingénues, toutes sortes de détails d’une
souveraine naïveté : saint Joachim prenant sainte Anne par la
taille, saint Joseph tenant à la main une chandelle de suif (dans le
Mariage de la Vierge, le même saint se montre sous les traits d'un
vieillard, ce qui manque de toute logique), ou encore sainte Elisa-
beth coiffée d’un turban. Les revendications de l’ère nouvelle se font
sentir dans Y Annonciation, caractérisée entre autres par un vase
rempli de muguets (et non plus de lys) ; le geste et les attitudes de
la Vierge, se retournant vers l’archange relégué à l’arrière-plan,
sont déjà d’une parfaite liberté. N’importe ; de même que son com-
patriote et contemporain Hans Holbein, le vieux Zeitblom manque
d’accent. Il faudra le souffle de la Renaissance pour transporter et
enflammer, non pas lui, — il était trop tard, — mais ses succes-
seurs : Martin Schaffner tout comme Hans Holbein le jeune.
Ici, comme partout ailleurs, Zeitblom a pour compagnon lidèle
Martin Schaffner. Celui-ci est représenté au musée de Sigmaringen
par un grand retable, infiniment plus archaïque que celui de la
cathédrale d’Ulm. Remarquez dans le Portement de croix les
hommes nus du fond, les mains liées derrière le dos : le modelé
en est encore passablement inexpérimenté. J’en dirai autant du
coloris, qui n’a pas assez d’air et en échange trop de crudité.
Pareillement, l’emploi de nimbes d’or s’accorde à souhait avec le
choix d’ornements gothiques.
Malgré ces lacunes, sachons rendre hommage aux figures, qui
sont fort élancées, et aux tètes, qui ont infiniment de caractère. Le
retable de Sigmaringen représente évidemment la première étape
dans l’évolution de Schaffner.
Au retable de Schaffner fait suite un superbe portrait d’homme,
dû à un autre champion de l’école souabe, Christophe Amberger :
il est modelé d’une façon miraculeuse, malgré son nez retroussé et
sa bouche de travers. Le portrait de femme qui lui fait pendant a
malheureusement été restauré
Dans la section de l’art textile, je signalerai une suite fort
précieuse de petites tapisseries allemandes gothiques, des « dos-
serets », d’un coloris cru, riche en rouges vifs. 11 n’est pas impossible
que ces pièces soient des « Hausarbeiten », c’est-à-dire qu’elles
aient été exécutées, non par des haute-lissières de profession, mais
par de nobles et puissantes dames ou par de simples bourgeoises
désireuses d’occuper leurs loisirs.
Un Combat d'hommes sauvages à fond damassé (xive-xvc siècle)
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
outre leurs bonnes figures ingénues, toutes sortes de détails d’une
souveraine naïveté : saint Joachim prenant sainte Anne par la
taille, saint Joseph tenant à la main une chandelle de suif (dans le
Mariage de la Vierge, le même saint se montre sous les traits d'un
vieillard, ce qui manque de toute logique), ou encore sainte Elisa-
beth coiffée d’un turban. Les revendications de l’ère nouvelle se font
sentir dans Y Annonciation, caractérisée entre autres par un vase
rempli de muguets (et non plus de lys) ; le geste et les attitudes de
la Vierge, se retournant vers l’archange relégué à l’arrière-plan,
sont déjà d’une parfaite liberté. N’importe ; de même que son com-
patriote et contemporain Hans Holbein, le vieux Zeitblom manque
d’accent. Il faudra le souffle de la Renaissance pour transporter et
enflammer, non pas lui, — il était trop tard, — mais ses succes-
seurs : Martin Schaffner tout comme Hans Holbein le jeune.
Ici, comme partout ailleurs, Zeitblom a pour compagnon lidèle
Martin Schaffner. Celui-ci est représenté au musée de Sigmaringen
par un grand retable, infiniment plus archaïque que celui de la
cathédrale d’Ulm. Remarquez dans le Portement de croix les
hommes nus du fond, les mains liées derrière le dos : le modelé
en est encore passablement inexpérimenté. J’en dirai autant du
coloris, qui n’a pas assez d’air et en échange trop de crudité.
Pareillement, l’emploi de nimbes d’or s’accorde à souhait avec le
choix d’ornements gothiques.
Malgré ces lacunes, sachons rendre hommage aux figures, qui
sont fort élancées, et aux tètes, qui ont infiniment de caractère. Le
retable de Sigmaringen représente évidemment la première étape
dans l’évolution de Schaffner.
Au retable de Schaffner fait suite un superbe portrait d’homme,
dû à un autre champion de l’école souabe, Christophe Amberger :
il est modelé d’une façon miraculeuse, malgré son nez retroussé et
sa bouche de travers. Le portrait de femme qui lui fait pendant a
malheureusement été restauré
Dans la section de l’art textile, je signalerai une suite fort
précieuse de petites tapisseries allemandes gothiques, des « dos-
serets », d’un coloris cru, riche en rouges vifs. 11 n’est pas impossible
que ces pièces soient des « Hausarbeiten », c’est-à-dire qu’elles
aient été exécutées, non par des haute-lissières de profession, mais
par de nobles et puissantes dames ou par de simples bourgeoises
désireuses d’occuper leurs loisirs.
Un Combat d'hommes sauvages à fond damassé (xive-xvc siècle)