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Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art — 3. Pér. 23.1900

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Nr. 4
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Proust, Marcel: John Ruskin, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.24720#0331

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3 J 4

GAZETTE DES BEAUX-ARTS

mieux venu, le plus frappant et le plus célèbre1, et pour mieux dire,
jusqu'à ce jour, le seul, c’est le Ruskin qui n’a connu toute sa vie
qu’une religion: celle de la Beauté.

Que l’adoration de la Beauté ait été, en effet, l’acte perpétuel
de la vie de Ruskin, cela peut être vrai à la lettre; mais j’estime
que le but de cette vie, son intention profonde, secrète et constante
était autre, et si je le dis, ce n’est pas pour m’écarter des vues de
M. de la Sizeranne, mais pour empêcher qu’elles ne soient rabaissées
dans l’esprit des lecteurs par une interprétation fausse, mais naturelle
et comme inévitable.

Non seulement la principale religion de Ruskin fut la Religion
tout court (et je reviendrai sur ce point tout à l’heure, car il domine
et caractérise son esthétique), mais, pour nous en tenir en ce
moment à la « Religion de la Beauté », il faudrait avertir notre temps
qu’il ne peut prononcer ces mots, s'il veut faire une allusion juste
à Ruskin, qu’en redressant le sens que son dilettantisme esthétique
est trop porté à leur donner. Pour notre âge, en effet, de dilettantes et
d’esthètes, un adorateur de la Beauté, c’est un homme qui, ne prati-
quant pas d’autre culte et ne reconnaissant pas d’autre dieu, passerait
sa vie dans la jouissance que donne la contemplation voluptueuse
des œuvres d'art.

Or, pour des raisons dont la recherche toute métaphysique dé-
passerait une simple étude d’art, la Beauté ne peut être aimée d’une
manière féconde si on l’aime seulement pour les plaisirs qu’elle
donne. Et, de même que la recherche du bonheur pour lui-même
n’atteint que l’ennui, et qu’il faut pour le trouver chercher autre
chose que lui, de même le plaisir esthétique nous est donné par sur-
croît si nous aimons la Beauté pour elle-même, comme quelque chose
de réel existant en dehors de nous et infiniment plus important que
la joie qu’elle nous donne. Et, très loin d’avoir été un dilettante ou
un esthète, Ruskin fut précisément le contraire, un de ces hommes
à la Carlyle, averti par leur génie de la vanité de tout plaisir et, en
même temps, de la présence auprès d’eux d’une réalité éternelle,
intuitivement perçue par l’inspiration. Le talent leur est donné
comme un pouvoir de fixer cette réalité à la toute-puissance et à
l’éternité do laquelle ils consacrent, pour lui donner quelque valeur,
avec enthousiasme et comme obéissant à un commandement de la
conscience, leur vie éphémère. De tels hommes, attentifs et anxieux
devant l'univers à déchiffrer, sont avertis des parties de la réalité
1, Le Ruskin de M. de la Sizeranne,
 
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