E Prince dont j'entreprens l'Eloge ,estoit un de ces grands hom^
mes dont l'Antiquité faisoit les demi-Dieux , & dont les qualitez
extraordinaires lui auroient semblé au dessus des forces de la
nature humaine. Il nâquit à Paris le troisiéme Septembre 1621. de
Henry de Bourbon Prince de Condé & de Charlotte de Mont-
morency. Il commença ses études à l'âge de huit ans chez les Jesuites à Bour-
ges, & il y fit un tel progrès, qu'à sa treiziéme année il soûtint des Theses de
Philosophie, où il excella sur tous ses concurrens , à peu prés de la même sorte
qu'il surpassa dans la suite tous les grands Capitaines de son siecle.
Son temperament sanguin , bilieux & robuste , luy fit aimer le jeu, la chasse ,
les divertissemens , & luy fournit des forces pour les plus grandes actions. Sa
taille au dessus de la mediocre , aisée, fine & delicate , lui donna beaucoup de
grâce à danser, à monter à cheval , à faire des armes & à tous les autres exer-
cices militaires, ll avoit l'air grand, fier & affable tout ensemble , beaucoup de
feu dans les yeux , & une physionomie qui tenoit de l'Aigle. Son genie estoit du
premier ordre en toutes choses , & particulierement dans la Guerre, pour la-
quelle il estoit tellement né , qu'il n'avoit point de plus grande joye que de se
voir à la teste d'une armée preste à combattre. C'estoit dans ces momens terri-
bles que la Guerre avoit pour lui des charmes. Dans le temps où le bruit & le tu-
multe du combat troublent les plus fermes & les plus intrépides , c'estoit alors
qu'il estoit le plus tranquile , qu'il voyoit mieux toutes choses , & qu'il donnoit
ses ordres avec plus de sang froid & avec plus de facilité ; en un mot ce qui faisoit
l'agitation des autres , le mettoit en quelque sorte dans son repos & dans son
estat naturel. Il a formé par son exemple douze Mareschaux de France , & une
infinité de toute sorte d'Officiers. Persorine n'a esté plus vigilant , soit à choisir
des postes , soit à faire observer la diseipline. Il se faisoit éveiller à quelque
heure que ce fust dés qu'on avoit à luy parler, surprenant toujours les enne-
mis, & ne leur donnant jamais lieu de le surprendre. Ces qualitez jointes à
son courage l'ont fait regarder comme un des plus grands Capitaines qui fut
jamais. On n'a pas eu de peine à porter ce jugement après les actions hé-
roïques qu'il a faites ; mais ce qui est estonnant & qui fait voir que le cara-
étere de grandeur & de superioritè ètoit bien marque en luy , c'est que le Car-
dinal de Richelieu en jugea de même dés l'année 1641. lors qu'il n'avoit encore
que vingt ans. Ce fera, dit-il à Monsieur de Chavigny, après une longue con-
férence qu'il avoit eue avec ce jeune Prince sur le fait de la Guerre , ce fera
le plus grand Capitaine de l'Europe & le premier homme de fonfecle.
Il commença à se signaler en qualité de volontaire aux Sieges d'Arras, d'Ai-
re ou de Perpignan , & dans ce dernier Siege il commanda l'Arriere-ban de
Languedoc. 11 donna dans ces trois Campagnes tant de preuves d'une capa-
cité extraordinaire pour commander en chef , que Loüis XIII. crut ne pou-
voir remettre en de meilleures mains la conduite de ses armées. La bataille de