VINCEN T VOITURE
DE L'ACADEMIE FRANÇOISE
Irgile ayant voulu faire trouver un Poëte dans les champs
Elisées,il l'a placé au milieu de ses plus grands Héros, pour faire
entendre que le talent de la Poësie , quand il est dans un haut
degré de perfection , rend digne celuy qui le possede de vivre
parmi les Princes & les Monarques , & mesme de marcher en
quelque sorte de pair avec eux. C'est ce que nous avons veu dans celuy dont
je fais l'Eloge. Quoyqu'il fust d'une Naissance assés obscure , n'estant fils que
d'un Marchand de Vin , il a eu neantmoins l'avantage de passer toute sa vie ,
à la faveur de la beauté de son Esprit & de sa Poësie , dans le commerce &
dans la familiarité de tout ce qu'il y avoit de plus grand & de plus élevé à la
Cour.
Il est vray que son genie estoit admirable & que ce genie estoit le seul
de son espece. Il se trouvoit alors un assés grand nombre d'Hommes trés-
éloquens , Balzac avoit esté sécondé de plusieurs autres pour donner à
nostre Langue d'élégance & la majesté qui luy manquoient , Malherbe &:
quantité d'autres bons Poëtes avoient porté la Poësie à un degré de perfe-
&ion bien different de celuy où ils l'avoient trouvée : Mais cette Eloquen-
ce & cette Poësie n'estoient point d'une autre espece que celles des Anciens ,
& elles ne differoient entre-elles que du plus ou du moins. Il entroit dans les
Ecrits de Voiture, soit en Prose soit en Vers une certaine naïveté & une sorte
de plaisanterie d'honneste-homme, qui n'avoient pas d'exemple, & dont toute
l'Antiquité la plus polie ne fournit point de modèle. Ce talent admirable en
luy-mesme, ayant encore les grâces de la nouveauté , luy acquit l'estime &
l'amour de tout le monde. Les moindres choses devenoient précieuses en pas-
sant par ses mains. Les Proverbes mesmes , qui en nostre Langue avilirent
presque tousjours le discours , donnoient aux siens du prix & de l'agrément ,
quand il avoit occasion de les mettre en œuvre. Ce fut dans l'Hostel de Ram-
bouillet , alors le réduit ordinaire de ce qu'il y avoit de plus beaux Esprits que
son merite éclatta d'abord. Monsieur, Duc d'Orléans , Frere unique du Roy
le voulut avoir auprès de sa Personne , & il y fut en qualité de son Introduc-
teur des Ambassadeurs , & de Maistre des Ceremonies ; Charge unique dans
la maison de Monsieur , qu'il exerça jusqu'à sa mort, & dont il s'acquitta par-
faitement , possedant tous les talens & toutes les Langues necessaires pour cet
employ. Monsieur l'envoya en Espagne pour quelques asfaires , d'où il passsa
en Afrique par curiosité seulement , comme on le voit dans ses Lettres. Il fut
fort estimé à Madrid , où il composa des Vers Espagnols que tout le monde
creut estre de Lopé de Vega , tant la diction en estoit pure & naturelle. Le
Comte Duc d'Olivarez premier Ministre & Favori du Roy d'Espagne prenoit
plaisir à s'entretenir avec luy , & le pria mesme de luy eserire quand il seroit de
retour en Flandres. Il fit deux voyages à Rome & fut envoyé à Florence
porter la nouvelle de la naissance du Roy. Il eut une Charge de Maistre
DE L'ACADEMIE FRANÇOISE
Irgile ayant voulu faire trouver un Poëte dans les champs
Elisées,il l'a placé au milieu de ses plus grands Héros, pour faire
entendre que le talent de la Poësie , quand il est dans un haut
degré de perfection , rend digne celuy qui le possede de vivre
parmi les Princes & les Monarques , & mesme de marcher en
quelque sorte de pair avec eux. C'est ce que nous avons veu dans celuy dont
je fais l'Eloge. Quoyqu'il fust d'une Naissance assés obscure , n'estant fils que
d'un Marchand de Vin , il a eu neantmoins l'avantage de passer toute sa vie ,
à la faveur de la beauté de son Esprit & de sa Poësie , dans le commerce &
dans la familiarité de tout ce qu'il y avoit de plus grand & de plus élevé à la
Cour.
Il est vray que son genie estoit admirable & que ce genie estoit le seul
de son espece. Il se trouvoit alors un assés grand nombre d'Hommes trés-
éloquens , Balzac avoit esté sécondé de plusieurs autres pour donner à
nostre Langue d'élégance & la majesté qui luy manquoient , Malherbe &:
quantité d'autres bons Poëtes avoient porté la Poësie à un degré de perfe-
&ion bien different de celuy où ils l'avoient trouvée : Mais cette Eloquen-
ce & cette Poësie n'estoient point d'une autre espece que celles des Anciens ,
& elles ne differoient entre-elles que du plus ou du moins. Il entroit dans les
Ecrits de Voiture, soit en Prose soit en Vers une certaine naïveté & une sorte
de plaisanterie d'honneste-homme, qui n'avoient pas d'exemple, & dont toute
l'Antiquité la plus polie ne fournit point de modèle. Ce talent admirable en
luy-mesme, ayant encore les grâces de la nouveauté , luy acquit l'estime &
l'amour de tout le monde. Les moindres choses devenoient précieuses en pas-
sant par ses mains. Les Proverbes mesmes , qui en nostre Langue avilirent
presque tousjours le discours , donnoient aux siens du prix & de l'agrément ,
quand il avoit occasion de les mettre en œuvre. Ce fut dans l'Hostel de Ram-
bouillet , alors le réduit ordinaire de ce qu'il y avoit de plus beaux Esprits que
son merite éclatta d'abord. Monsieur, Duc d'Orléans , Frere unique du Roy
le voulut avoir auprès de sa Personne , & il y fut en qualité de son Introduc-
teur des Ambassadeurs , & de Maistre des Ceremonies ; Charge unique dans
la maison de Monsieur , qu'il exerça jusqu'à sa mort, & dont il s'acquitta par-
faitement , possedant tous les talens & toutes les Langues necessaires pour cet
employ. Monsieur l'envoya en Espagne pour quelques asfaires , d'où il passsa
en Afrique par curiosité seulement , comme on le voit dans ses Lettres. Il fut
fort estimé à Madrid , où il composa des Vers Espagnols que tout le monde
creut estre de Lopé de Vega , tant la diction en estoit pure & naturelle. Le
Comte Duc d'Olivarez premier Ministre & Favori du Roy d'Espagne prenoit
plaisir à s'entretenir avec luy , & le pria mesme de luy eserire quand il seroit de
retour en Flandres. Il fit deux voyages à Rome & fut envoyé à Florence
porter la nouvelle de la naissance du Roy. Il eut une Charge de Maistre