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https://doi.org/10.11588/diglit.73756#0157
6,
FRANCOIS DE MALHERBE
E n'est pas sans raison que la Ville de Caën est renommée pour
le bel esprit , comme naturel en quelque sorte à ses Habitant.
Quand elle n'auroit pas donné un nombre presque infini d'Hom-
mes de Lettres , remarquables particulièrement par la finesse &
par la beauté de leur genie , il luy suffiroit d'estre le Berceau de
Malherbe pour meriter les louanges que l'on luy donne. Il y nâquit en l'année
ify. Il estoit de l'ancienne Maison de S. Aignan de Malherbe qui a porté si long-
temps les armes en Angleterre , &: qui s'y rendit beaucoup plus considerable
qu'au lieu de son origine , où elle déchut si fort avec le temps que le pere de
Malherbe n'estoit qu'Assesseur à Caën. Le jeune Malherbe fit ses Estudes dans
cette Ville avec Jacques Davy du Perron depuis Cardinal, & Jean Bertaut de-
puis Evesque de Séés. Ils ont esté tous trois d'excellens Poëtes. Le pere de Mal-
herbe s'estant fait Huguenot sur la fin de sa vie , son fils en eut un si sensible dé-
plaisir qu'il quitta le Pays & se mit au service de M. d'Angoulesme fils naturel de
Henry Second , le suivit en Provence dont il estoit Gouverneur, & demeura dans:
sa maison jusqu'au jour que ce Prince fut assassiné par Altoviti en 1586. Il es-
pousa la Veuve d'un Conseiller fille d'un President de Provence,appellée Mag-
delaine de Carriolis dont il eut plusieurs enfans qui moururent tous avant luy.
La réputation de Malherbe se répandit en peu de temps de tous costez & alla
jusqu'au Roy Henry IV. par les bons offices du Cardinal du Perron. Le Roy ayant
demandé un jour à ce Cardinal s'il ne faisoit plus de Vers , il luy répondit qu'il
avoit quitté cet amusement depuis que Sa Majesté luy avoit fait l'honneur de
l'employer dans ses affaires , & il ajousta qu'il ne falloir pas que personne s'en
messast après un certain Gentilhomme de Normandie habitué en Provence
nommé Malherbe , qui avoit porté la Poësie Françoise à un si haut point de
perfection , qu'il n'estoit pas possible d'en approcher. Cependant Malherbe ne
vint à la Cour que deux ou trois ans après , vers l'année 1605. un Peu avant
que le Roy partist pour remettre dans le devoir la Province de Limouzin. Sa
Majesté luy ayant ordonné de faire des Vers sur son Voyage, il luy presenta
à son retour des Stances qui luy acquirent beaucoup de réputation , & dont le
Roy fut si content qu'il commanda à M. de Bellegarde de luy donner sa mai-
son jusqu'à ce. qu'il l'eust fait mettre siir l'estat de ses Pensionnaires. Ce Seigneur
luy donna sa table , un cheval & mille livres d'appointement. M. de Racan
qui estoit alors Page de la Chambre , fit amitié avec Malherbe qui luy apprit à
faire des Vers , & cette amitié dura tousjours. La Reine Marie de Medicis
après le déceds d'Henry IV. donna cinq cens escus de pension à Malherbe.
Son talent principal dans la Poësie Françoise , consistoit dans le tour qu'il
donnoit aux Vers , que personne n'avoit connu avant luy , que tous les Poëtes
qui sont venus ensuite , ont taschè d'imiter; mais où très peu sont parvenus.
Il reforma, en quelque façon toute la Langue , en n'admettant plus les mots
écorchez du Latin , ny les phrases tournées à la maniere des Latins ou des Grecs,
ce qui a défiguré la pluspart des Ouvrages de ceux qui l'ont precedé, & par-
ticulièrement ceux de Ronsard , quoyque ce Poëte crust leur donner par-là
FRANCOIS DE MALHERBE
E n'est pas sans raison que la Ville de Caën est renommée pour
le bel esprit , comme naturel en quelque sorte à ses Habitant.
Quand elle n'auroit pas donné un nombre presque infini d'Hom-
mes de Lettres , remarquables particulièrement par la finesse &
par la beauté de leur genie , il luy suffiroit d'estre le Berceau de
Malherbe pour meriter les louanges que l'on luy donne. Il y nâquit en l'année
ify. Il estoit de l'ancienne Maison de S. Aignan de Malherbe qui a porté si long-
temps les armes en Angleterre , &: qui s'y rendit beaucoup plus considerable
qu'au lieu de son origine , où elle déchut si fort avec le temps que le pere de
Malherbe n'estoit qu'Assesseur à Caën. Le jeune Malherbe fit ses Estudes dans
cette Ville avec Jacques Davy du Perron depuis Cardinal, & Jean Bertaut de-
puis Evesque de Séés. Ils ont esté tous trois d'excellens Poëtes. Le pere de Mal-
herbe s'estant fait Huguenot sur la fin de sa vie , son fils en eut un si sensible dé-
plaisir qu'il quitta le Pays & se mit au service de M. d'Angoulesme fils naturel de
Henry Second , le suivit en Provence dont il estoit Gouverneur, & demeura dans:
sa maison jusqu'au jour que ce Prince fut assassiné par Altoviti en 1586. Il es-
pousa la Veuve d'un Conseiller fille d'un President de Provence,appellée Mag-
delaine de Carriolis dont il eut plusieurs enfans qui moururent tous avant luy.
La réputation de Malherbe se répandit en peu de temps de tous costez & alla
jusqu'au Roy Henry IV. par les bons offices du Cardinal du Perron. Le Roy ayant
demandé un jour à ce Cardinal s'il ne faisoit plus de Vers , il luy répondit qu'il
avoit quitté cet amusement depuis que Sa Majesté luy avoit fait l'honneur de
l'employer dans ses affaires , & il ajousta qu'il ne falloir pas que personne s'en
messast après un certain Gentilhomme de Normandie habitué en Provence
nommé Malherbe , qui avoit porté la Poësie Françoise à un si haut point de
perfection , qu'il n'estoit pas possible d'en approcher. Cependant Malherbe ne
vint à la Cour que deux ou trois ans après , vers l'année 1605. un Peu avant
que le Roy partist pour remettre dans le devoir la Province de Limouzin. Sa
Majesté luy ayant ordonné de faire des Vers sur son Voyage, il luy presenta
à son retour des Stances qui luy acquirent beaucoup de réputation , & dont le
Roy fut si content qu'il commanda à M. de Bellegarde de luy donner sa mai-
son jusqu'à ce. qu'il l'eust fait mettre siir l'estat de ses Pensionnaires. Ce Seigneur
luy donna sa table , un cheval & mille livres d'appointement. M. de Racan
qui estoit alors Page de la Chambre , fit amitié avec Malherbe qui luy apprit à
faire des Vers , & cette amitié dura tousjours. La Reine Marie de Medicis
après le déceds d'Henry IV. donna cinq cens escus de pension à Malherbe.
Son talent principal dans la Poësie Françoise , consistoit dans le tour qu'il
donnoit aux Vers , que personne n'avoit connu avant luy , que tous les Poëtes
qui sont venus ensuite , ont taschè d'imiter; mais où très peu sont parvenus.
Il reforma, en quelque façon toute la Langue , en n'admettant plus les mots
écorchez du Latin , ny les phrases tournées à la maniere des Latins ou des Grecs,
ce qui a défiguré la pluspart des Ouvrages de ceux qui l'ont precedé, & par-
ticulièrement ceux de Ronsard , quoyque ce Poëte crust leur donner par-là