DOI Page / Citation link:
https://doi.org/10.11588/diglit.73756#0133
$7
ANTOINE
MAISTRE DES COMPTES.
ROSSIGNOL
N a toujours regardé comme une chose admirable que les
hommes ayent trouvé le moyen de se communiquer leurs pen-
sées toutes spirituelles qu'elles sont, par des caraderes corporels,
& qui d'eux-mesmes n'ont aucune ressemblance avec les choses
qu'ils signifient ; mais si l'on a lieu de sestonner qu'un homme
devine la pensée d'un autre par ces caraéteres , lors même qu'ils sont formez
pour la donner à entendre ; combien est-il plus surprenant qu'il ait l'industrie
de la deviner , lorsque ces mêmes cara&eres ont estè faits pour la cacher & la
dérober à sa connoissance. Cependant c'est ce que font tous les jours ceux qui
ont l'art de dechifrer; secret h admirable qu'il n'y a que 1'accoustumance de
le voir pratiquer qui empesche qu'on n'y croye du miracle. Entre ceux qui ont
eu ce talent, personne ne l'a possedé au point de perfection qu'on a remarqué
dans celuy dont je parle.
Il nâquit dans la Ville d'Alby le premier jour de l'année 1600. & ses Parens ,
les plus considerables de cette Ville , eurent un très-grand soin de son éduca-
tion. Il s'appliqua fortement àl'estude des Sciences les plus difficiles, & parti-
culièrement des Mathématiques , où son esprit vif & penetrant au-de-là de ce
qu'on peut s'imaginer , luy fit découvrir en peu de temps ce qu'elles ont de plus
caché & de plus curieux; il parvint par la connoissance exacte de ces Sciences ,
& principalement par la force de son genie à deviner toutes sortes de chifres ,
sans en avoir presque trouvé un seul pendant toute sa vie qui luy ait esté impe-
netrable. Ce fut en l'année 162.6. & au Siege de Realmont Ville de Languedoc
alors en la puissance des Huguenots , qu'il fit son premier coup d'essay. Elle
estoit assiegée par l'armée du Roy que commandoit M. le Prince de Condé, &
elle faisoit une telle resistance que ce Prince estoit sur le point de lever le Siege ,
lorsqu'on surprit une Lettre des Asliegez eserite en chifre , où les plus habiles en
l'art de déchifrer ne peurent rien comprendre ; Elle fut donnée à M. Rossignol qui
la déchiffra sur le champ, & dit que les Assiegez mandoient aux Huguenots de
Montauban qu'ils manquoient de poudre, & que s'il n'y estoit pourvu inces-
samment ils se rendroient aux Ennemis. Le Prince de Condé envoya aux Assie-
gez leur Lettre déchiffrée , ce qui les obligea de se rendre dés le jour mesme.
La chose ayant esté rapportée au Cardinal de Richelieu , il fit vinir à la Cour
Monsieur Roslignol qui donna des preuves si estonnantes de son habileté, que
ce grand Cardinal malgré son genie extraordinaire qui l'empeschoit d'admirer
bien des choses , ne pouvoit neantmoins se lasser d'en marquer de l'estonne-
ment. Il servit très utilement pendant le Siege de la Rochelle , en découvrant
les secrets des Ennemis par leurs Lettres interceptées qu'il déchiffroit toutes sans
presque aucune peine. Ce grand Ministre récompensa son merite de plusieurs
bienfaits, &le Roy Loüis XIII. le recommanda en mourant à la Reine , com-
me un homme des plus necessaires au bien de l'Estat. Lé Roy qui connoist si
parfaitement les talens des hommes l'a tousjours honoré d'une estime très-parti-
ANTOINE
MAISTRE DES COMPTES.
ROSSIGNOL
N a toujours regardé comme une chose admirable que les
hommes ayent trouvé le moyen de se communiquer leurs pen-
sées toutes spirituelles qu'elles sont, par des caraderes corporels,
& qui d'eux-mesmes n'ont aucune ressemblance avec les choses
qu'ils signifient ; mais si l'on a lieu de sestonner qu'un homme
devine la pensée d'un autre par ces caraéteres , lors même qu'ils sont formez
pour la donner à entendre ; combien est-il plus surprenant qu'il ait l'industrie
de la deviner , lorsque ces mêmes cara&eres ont estè faits pour la cacher & la
dérober à sa connoissance. Cependant c'est ce que font tous les jours ceux qui
ont l'art de dechifrer; secret h admirable qu'il n'y a que 1'accoustumance de
le voir pratiquer qui empesche qu'on n'y croye du miracle. Entre ceux qui ont
eu ce talent, personne ne l'a possedé au point de perfection qu'on a remarqué
dans celuy dont je parle.
Il nâquit dans la Ville d'Alby le premier jour de l'année 1600. & ses Parens ,
les plus considerables de cette Ville , eurent un très-grand soin de son éduca-
tion. Il s'appliqua fortement àl'estude des Sciences les plus difficiles, & parti-
culièrement des Mathématiques , où son esprit vif & penetrant au-de-là de ce
qu'on peut s'imaginer , luy fit découvrir en peu de temps ce qu'elles ont de plus
caché & de plus curieux; il parvint par la connoissance exacte de ces Sciences ,
& principalement par la force de son genie à deviner toutes sortes de chifres ,
sans en avoir presque trouvé un seul pendant toute sa vie qui luy ait esté impe-
netrable. Ce fut en l'année 162.6. & au Siege de Realmont Ville de Languedoc
alors en la puissance des Huguenots , qu'il fit son premier coup d'essay. Elle
estoit assiegée par l'armée du Roy que commandoit M. le Prince de Condé, &
elle faisoit une telle resistance que ce Prince estoit sur le point de lever le Siege ,
lorsqu'on surprit une Lettre des Asliegez eserite en chifre , où les plus habiles en
l'art de déchifrer ne peurent rien comprendre ; Elle fut donnée à M. Rossignol qui
la déchiffra sur le champ, & dit que les Assiegez mandoient aux Huguenots de
Montauban qu'ils manquoient de poudre, & que s'il n'y estoit pourvu inces-
samment ils se rendroient aux Ennemis. Le Prince de Condé envoya aux Assie-
gez leur Lettre déchiffrée , ce qui les obligea de se rendre dés le jour mesme.
La chose ayant esté rapportée au Cardinal de Richelieu , il fit vinir à la Cour
Monsieur Roslignol qui donna des preuves si estonnantes de son habileté, que
ce grand Cardinal malgré son genie extraordinaire qui l'empeschoit d'admirer
bien des choses , ne pouvoit neantmoins se lasser d'en marquer de l'estonne-
ment. Il servit très utilement pendant le Siege de la Rochelle , en découvrant
les secrets des Ennemis par leurs Lettres interceptées qu'il déchiffroit toutes sans
presque aucune peine. Ce grand Ministre récompensa son merite de plusieurs
bienfaits, &le Roy Loüis XIII. le recommanda en mourant à la Reine , com-
me un homme des plus necessaires au bien de l'Estat. Lé Roy qui connoist si
parfaitement les talens des hommes l'a tousjours honoré d'une estime très-parti-