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EUSTACHE LE
PEINTRE
SUEUR
N peut dire de l'Excellent Peintre dont je vais parler, qu'il ne
luy a manqué qu'une chose, qui est de vivre plus long-temps,
car s'il eust continué à se perfectionner dans la Peinture à pro-
portion de ce qu'il a fait jusqu'à l'âge de 38. ans où il est mort ,
il auroit surpassé ou du moins égalé tout ce qu'il y a jamais eu
de grands Peintres. Cette destinée luy est commune avec Ra-
phaël qui mourut environ dans le mesme âge.
Il fut de l'Academie Royale de Peinture & de Sculpture dés les premiers
jours de son establissement. Il estudia sous Voüet comme tous les jeunes Pein-
tres de son temps, & au lieu que les Disciples se font tous estimer à propor-
tion de ce qu'ils imitent bien leur Maistre , celuy-cy , de mesme que Monteur
le Brun , & quelques- autres encore qui avoient un Genie superieur pour la Pein-
ture, s'est fait considerer pour avoir quitté de bonne heure la maniere de son
Maistre, parcequ'encore que Voüet fust tres-habile Homme, le Sueur avoit un
goust beaucoup plus exquis & plus delicat. Le premier Ouvrage de consequen-
ce qu'il entreprit , fut la Vie de S. Bruno qu'il peignit dans le Cloistre des
Chartreux de Paris dans vingt-deux Tableaux d'une beauté admirable , & dont
quelques-uns par une malice incroyable , &: de laquelle on n'a jamais pu dé-
couvrir les Auteurs, ont esté gassez considerablernent dans les endroits où il
y avoit de plus nobles & de plus vives Expressions. Il fit tout cet Ouvrage en
trois années. On a de la peine à comprendre, quand on considere avec quel
soin &: avec quelle estude tous les Tableaux sont peints , comment il a pu en
venir à bout en si peu de temps , cependant quelque beaux qu'ils soient , il
faut convenir que ceux qu'il a faits depuis en divers endroits le sont la plus-
part encore davantage du costé de la correction & de la force de la couleur.
Un des plus beaux est celuy qu'il fit pour estre mis à Nostre-Dame en l'année
1650. suivant la Coustume que les Orfèvres observent depuis long-temps d'y en
presenter un tous les ans au premier jour du mois de Ma/ S. Paul y est repré-
senté preschant dans la Ville d'Ephese & convertissant les Gentils qui appor-
tent leurs Livres de Sciences profanes pour estre brussez. Il a fait un Tableau
d'un Christ mourant pour les Capucins de la rue S. Honoré ; un Tableau
de la Magdelene , &: un autre du Martyre de S. Laurent pour l'Eglise de S.
Germain de l'Auxerrois & quelques Tableaux de l'Histoire de S. Martin pour
les Religieux de Marmoutier. Il fit sur la fin de sa vie deux Tableaux de î'Hi-
stoire de S. Gervais & de S. Prothais pour estre copiez comme ils l'ont esté
dans les Tapisseries qu'on voit à S. Gervais ; ces Tableaux sont d'une beauté
extraordinaire.
Ce que le Sueur avoit de plus remarquable , c'est qu'il n'y avoit rien d'af-
fedé dans sa maniere. C'estoit la belle Nature prise d'après l'idée du Beau qu'il
representoit en autant de façons differentes , que les disferens sujets le dernan-
doient, n'ayant aucunes attitudes, aucunes manieres de groupper , de disposer,
A
EUSTACHE LE
PEINTRE
SUEUR
N peut dire de l'Excellent Peintre dont je vais parler, qu'il ne
luy a manqué qu'une chose, qui est de vivre plus long-temps,
car s'il eust continué à se perfectionner dans la Peinture à pro-
portion de ce qu'il a fait jusqu'à l'âge de 38. ans où il est mort ,
il auroit surpassé ou du moins égalé tout ce qu'il y a jamais eu
de grands Peintres. Cette destinée luy est commune avec Ra-
phaël qui mourut environ dans le mesme âge.
Il fut de l'Academie Royale de Peinture & de Sculpture dés les premiers
jours de son establissement. Il estudia sous Voüet comme tous les jeunes Pein-
tres de son temps, & au lieu que les Disciples se font tous estimer à propor-
tion de ce qu'ils imitent bien leur Maistre , celuy-cy , de mesme que Monteur
le Brun , & quelques- autres encore qui avoient un Genie superieur pour la Pein-
ture, s'est fait considerer pour avoir quitté de bonne heure la maniere de son
Maistre, parcequ'encore que Voüet fust tres-habile Homme, le Sueur avoit un
goust beaucoup plus exquis & plus delicat. Le premier Ouvrage de consequen-
ce qu'il entreprit , fut la Vie de S. Bruno qu'il peignit dans le Cloistre des
Chartreux de Paris dans vingt-deux Tableaux d'une beauté admirable , & dont
quelques-uns par une malice incroyable , &: de laquelle on n'a jamais pu dé-
couvrir les Auteurs, ont esté gassez considerablernent dans les endroits où il
y avoit de plus nobles & de plus vives Expressions. Il fit tout cet Ouvrage en
trois années. On a de la peine à comprendre, quand on considere avec quel
soin &: avec quelle estude tous les Tableaux sont peints , comment il a pu en
venir à bout en si peu de temps , cependant quelque beaux qu'ils soient , il
faut convenir que ceux qu'il a faits depuis en divers endroits le sont la plus-
part encore davantage du costé de la correction & de la force de la couleur.
Un des plus beaux est celuy qu'il fit pour estre mis à Nostre-Dame en l'année
1650. suivant la Coustume que les Orfèvres observent depuis long-temps d'y en
presenter un tous les ans au premier jour du mois de Ma/ S. Paul y est repré-
senté preschant dans la Ville d'Ephese & convertissant les Gentils qui appor-
tent leurs Livres de Sciences profanes pour estre brussez. Il a fait un Tableau
d'un Christ mourant pour les Capucins de la rue S. Honoré ; un Tableau
de la Magdelene , &: un autre du Martyre de S. Laurent pour l'Eglise de S.
Germain de l'Auxerrois & quelques Tableaux de l'Histoire de S. Martin pour
les Religieux de Marmoutier. Il fit sur la fin de sa vie deux Tableaux de î'Hi-
stoire de S. Gervais & de S. Prothais pour estre copiez comme ils l'ont esté
dans les Tapisseries qu'on voit à S. Gervais ; ces Tableaux sont d'une beauté
extraordinaire.
Ce que le Sueur avoit de plus remarquable , c'est qu'il n'y avoit rien d'af-
fedé dans sa maniere. C'estoit la belle Nature prise d'après l'idée du Beau qu'il
representoit en autant de façons differentes , que les disferens sujets le dernan-
doient, n'ayant aucunes attitudes, aucunes manieres de groupper , de disposer,
A