JEAN LOUIS GUEZSRDE BALZAC
DE LACADEMIE FRANÇOISE
N peut dire que l'Eloquence doit à M. de Balzac la mesine
chose que la Poësie doit à M. de Malherbe. Je veux dire que
ces deux beaux Arts ont receu de ces deux grands Hommes
un certain nombre & une certaine harmonie que l'on ne con-
noissoit point encore. C'estoit assés pour de la Prose avant M.
de Balzac de n'estre pas barbare , & les Orateurs contens de
faire entrer dans l'esprit de ceux qui les écoutoient ou qui lisoient leurs Ou.
vrages, des choses où il y eust de la raison & de l'esprit , ne songeoient preC
que point à contenter les oreilles par où ces mesmes choses dévoient passera
Cependant le suffrage de l'Entendement & de la Volonté dépendent fort de ce-
luy des Oreilles , &il est mal-aisé de plaire beaucoup aux uns sans avoir com-
mencé par plaire aux autres. M. de Balzac s'appliqua à donner du son , de
la cadence & de la force à ses paroles par leur arrangement & leur Situation ,
& il l'a fait si heureusement qu'il y a plus de distance de sa Prose à celle de
tous les autres qui l'ont precedé pour la douceur & la force de l'harmo-
nie , qu'il n'y en a de cette mesme Prose aux plus beaux Vers des meilleurs
Poëtes.
Quoyque peu d'Ecrivains ayent approché de M. de Balzac dans cette partie
de l'Eloquence qui n'est pas asseurement moins considerable que celle de l'ac-
tion & de la prononciation , en quoy Demosthene faisoit presque consiner tout
ce bel Art , il est certain qu'il y en a eu encore moins qui l'ayent égalé dans la
beauté des pensées & dans le tour noble & majestueux qu'il sçavoit leur don-
ner. Tout devenoit or en passant par ses mains. Quelques-uns luy ont reproché
d'estre trop fort dans l'exageration , mais l'Eloquence dans le genre demons-
tratif ne consine qu'à élever les choses les plus basses & à abbaissfer les plus
hautes ; que s'il a poussé quelquefois l'hyperbole un peu trop loin , ce n'a gueres
esté que dans ses premieres années où l'on doit pardonner cet agréable empor-
tement à la jeune vigueur d'un grand Genie. Le premier Livre qu'il fit impri-
mer fut un recueil de ses Lettres escrites à differentes personnes de toutes qua-
litez. Ce recueil fut receu avec un applaudissfement incroyable. On n'avoit
encore rien veu d'un stile si élevé ni si agréable , & on ne sçauroit dire com-
bien il s'en fit d'Editions pour satisfaire à l'empressemçnt du Public. Elles eu-
rent aussi leurs Censeurs en grand nombre , elles estoient trop belles pour en
manquer. Celuy qui se signala davantage par ses Critiques fut le Pere Goulu Ge-
neral des Feüillans.Ce sçavant Homme tout plein de l'amour des anciens Auteurs,
passion ordinaire aux Sçavans , ne pouvant souffrir qu'un Homme qui taschoit
de s'élever au dessus de la noble simplicité des Anciens , eust la réputation de
bien escrire , & regardant comme un deffaut ce que tout le monde regardoic
comme une grande beauté, fit tous ses efforts pour décrier l'Eloquence de M6
de Balzac. Il entreprit de faire voir que tout ce qu'il y avoir de bon dans les
Lettres de ce nouvel Auteur estoit pris des Anciens, & que ce qui estoit de
DE LACADEMIE FRANÇOISE
N peut dire que l'Eloquence doit à M. de Balzac la mesine
chose que la Poësie doit à M. de Malherbe. Je veux dire que
ces deux beaux Arts ont receu de ces deux grands Hommes
un certain nombre & une certaine harmonie que l'on ne con-
noissoit point encore. C'estoit assés pour de la Prose avant M.
de Balzac de n'estre pas barbare , & les Orateurs contens de
faire entrer dans l'esprit de ceux qui les écoutoient ou qui lisoient leurs Ou.
vrages, des choses où il y eust de la raison & de l'esprit , ne songeoient preC
que point à contenter les oreilles par où ces mesmes choses dévoient passera
Cependant le suffrage de l'Entendement & de la Volonté dépendent fort de ce-
luy des Oreilles , &il est mal-aisé de plaire beaucoup aux uns sans avoir com-
mencé par plaire aux autres. M. de Balzac s'appliqua à donner du son , de
la cadence & de la force à ses paroles par leur arrangement & leur Situation ,
& il l'a fait si heureusement qu'il y a plus de distance de sa Prose à celle de
tous les autres qui l'ont precedé pour la douceur & la force de l'harmo-
nie , qu'il n'y en a de cette mesme Prose aux plus beaux Vers des meilleurs
Poëtes.
Quoyque peu d'Ecrivains ayent approché de M. de Balzac dans cette partie
de l'Eloquence qui n'est pas asseurement moins considerable que celle de l'ac-
tion & de la prononciation , en quoy Demosthene faisoit presque consiner tout
ce bel Art , il est certain qu'il y en a eu encore moins qui l'ayent égalé dans la
beauté des pensées & dans le tour noble & majestueux qu'il sçavoit leur don-
ner. Tout devenoit or en passant par ses mains. Quelques-uns luy ont reproché
d'estre trop fort dans l'exageration , mais l'Eloquence dans le genre demons-
tratif ne consine qu'à élever les choses les plus basses & à abbaissfer les plus
hautes ; que s'il a poussé quelquefois l'hyperbole un peu trop loin , ce n'a gueres
esté que dans ses premieres années où l'on doit pardonner cet agréable empor-
tement à la jeune vigueur d'un grand Genie. Le premier Livre qu'il fit impri-
mer fut un recueil de ses Lettres escrites à differentes personnes de toutes qua-
litez. Ce recueil fut receu avec un applaudissfement incroyable. On n'avoit
encore rien veu d'un stile si élevé ni si agréable , & on ne sçauroit dire com-
bien il s'en fit d'Editions pour satisfaire à l'empressemçnt du Public. Elles eu-
rent aussi leurs Censeurs en grand nombre , elles estoient trop belles pour en
manquer. Celuy qui se signala davantage par ses Critiques fut le Pere Goulu Ge-
neral des Feüillans.Ce sçavant Homme tout plein de l'amour des anciens Auteurs,
passion ordinaire aux Sçavans , ne pouvant souffrir qu'un Homme qui taschoit
de s'élever au dessus de la noble simplicité des Anciens , eust la réputation de
bien escrire , & regardant comme un deffaut ce que tout le monde regardoic
comme une grande beauté, fit tous ses efforts pour décrier l'Eloquence de M6
de Balzac. Il entreprit de faire voir que tout ce qu'il y avoir de bon dans les
Lettres de ce nouvel Auteur estoit pris des Anciens, & que ce qui estoit de