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PIERRE CORNEILLE
DE L'ACADEMIE FRANÇOISE.
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I sept Villes se sont rendues celebres pour avoir pu prétendre
chacune d'estre le lieu où estoit né Homere , quel honneur la
Ville de Roüen ne doit-elle pas attendre de la posterité, de n'a¬
voir point à partager avec aucune autre l'avantage d'avoir donné
la naissance à l'Illustre Corneille, ll ne faut point trouver essran-
ge que je mette ce Poëte moderne en parallele avec le plus illustre de tous les
Poètes anciens , puisque plusieurs personnes trés-sages n'ont pas héssté de le
faire avant moy. Tout Paris a veu un Cabinet de pierres de rapport fait à Flo-
rence,& dont on avoit fait present au Cardinal Mazarin,où entre les divers
ornemens dont il est enrichi on avoit mis aux quatre coins , les Medailles ou
Portraits des quatre plus grands Poètes qui ayent jamais paru dans le monde,
sçavoir , Homere, Virgile , 1e Tasse,& Corneille. On ne peut pas croire qu'il
entrait de la ssatterie dans ce choix, & qu'il n'ayt esté fait par la voix publique
non seulement de la France , mais de l'Italie mesme, assés avare de pareils Elo-
ges. Cette espece d'honneur n'est pas ordinaire , & peu de gens en ont joüy ,
comme M. Corneille , pendant leur vie.
Il s'appliqua quelque temps à la Jurisprudence , & achepta la Charge d'Ad-
vocat General de la Table de Marbre à Roüen ; mais le grand talent qu'il
avoit pour la Poësie ne souffrit pas qu'il en fist long-temps la fonction. Il vint à
Paris pour y faire joüer les Pieces de Theatre qu'il avoit composées. Dans ce
temps Mairet autre Poëte d'un mérite distingué , avoit fait representer une Pa-
storale qu'on appelloit la Sylvie , laquelle avoit receu des applaudissfemens in-
croyables , quoyque la Piece fust ailes defectueuse , mais on en estoit charmé
parce qu'elle venoit ensuite des Tragedies de Garnier & de Hardy, dont le langa-
ge ne tenoit guéres moins du Latin que du François, & dont les Sujets traitiez
ala maniere antique, estoient d'une langueur insupportable. Autant que la
Sylvie avoit éclatté par la comparaison qu'on en avoit faite avec les Pieces de
Theatres precedentes , autant les premieres Pieces de Corneille firent-elles de
bruit lorsqu'elles parurent, par le degré d'excellence qu'elles avoient au dessus
de cette Pastorale. La premiere fut Melite qui eut un succés extraordinaire, &
qui fut suivie de sept autres, après lesquelles il donna le Cid , les Horaces,Cinna,
Polieufte , la Mort de Pompée , le Menteur, Rhodogune, Heraclius, Dom San-
che d'Arragon, & Nicomede , Pieces qui parurent d'une si grande beauté,
qu'on trouva que Corneille s'estoit essevé par ces dernieres Pieces autant au
delTus de luy-mesme , qu'il s'estoit eslevé au dessus des autres Poëtes par ses
premiers Ouvrages.
Personne n'a jamais eu plus de grandeur de genie pour le Theatre , soit
pour les Caractères extraordinaires & bien marquez qu’il donne à tous les
Personnages , soit pour les sentimens qu’il leur fait avoir, & la maniere noble
dont il les exprime. On a sur tout admiré le Caraétere de la fierté Romaine
qu'il a mis dans les Héros en qui l'Histoire marque qu'il a éclatté. Quoyqu'il
PIERRE CORNEILLE
DE L'ACADEMIE FRANÇOISE.
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I sept Villes se sont rendues celebres pour avoir pu prétendre
chacune d'estre le lieu où estoit né Homere , quel honneur la
Ville de Roüen ne doit-elle pas attendre de la posterité, de n'a¬
voir point à partager avec aucune autre l'avantage d'avoir donné
la naissance à l'Illustre Corneille, ll ne faut point trouver essran-
ge que je mette ce Poëte moderne en parallele avec le plus illustre de tous les
Poètes anciens , puisque plusieurs personnes trés-sages n'ont pas héssté de le
faire avant moy. Tout Paris a veu un Cabinet de pierres de rapport fait à Flo-
rence,& dont on avoit fait present au Cardinal Mazarin,où entre les divers
ornemens dont il est enrichi on avoit mis aux quatre coins , les Medailles ou
Portraits des quatre plus grands Poètes qui ayent jamais paru dans le monde,
sçavoir , Homere, Virgile , 1e Tasse,& Corneille. On ne peut pas croire qu'il
entrait de la ssatterie dans ce choix, & qu'il n'ayt esté fait par la voix publique
non seulement de la France , mais de l'Italie mesme, assés avare de pareils Elo-
ges. Cette espece d'honneur n'est pas ordinaire , & peu de gens en ont joüy ,
comme M. Corneille , pendant leur vie.
Il s'appliqua quelque temps à la Jurisprudence , & achepta la Charge d'Ad-
vocat General de la Table de Marbre à Roüen ; mais le grand talent qu'il
avoit pour la Poësie ne souffrit pas qu'il en fist long-temps la fonction. Il vint à
Paris pour y faire joüer les Pieces de Theatre qu'il avoit composées. Dans ce
temps Mairet autre Poëte d'un mérite distingué , avoit fait representer une Pa-
storale qu'on appelloit la Sylvie , laquelle avoit receu des applaudissfemens in-
croyables , quoyque la Piece fust ailes defectueuse , mais on en estoit charmé
parce qu'elle venoit ensuite des Tragedies de Garnier & de Hardy, dont le langa-
ge ne tenoit guéres moins du Latin que du François, & dont les Sujets traitiez
ala maniere antique, estoient d'une langueur insupportable. Autant que la
Sylvie avoit éclatté par la comparaison qu'on en avoit faite avec les Pieces de
Theatres precedentes , autant les premieres Pieces de Corneille firent-elles de
bruit lorsqu'elles parurent, par le degré d'excellence qu'elles avoient au dessus
de cette Pastorale. La premiere fut Melite qui eut un succés extraordinaire, &
qui fut suivie de sept autres, après lesquelles il donna le Cid , les Horaces,Cinna,
Polieufte , la Mort de Pompée , le Menteur, Rhodogune, Heraclius, Dom San-
che d'Arragon, & Nicomede , Pieces qui parurent d'une si grande beauté,
qu'on trouva que Corneille s'estoit essevé par ces dernieres Pieces autant au
delTus de luy-mesme , qu'il s'estoit eslevé au dessus des autres Poëtes par ses
premiers Ouvrages.
Personne n'a jamais eu plus de grandeur de genie pour le Theatre , soit
pour les Caractères extraordinaires & bien marquez qu’il donne à tous les
Personnages , soit pour les sentimens qu’il leur fait avoir, & la maniere noble
dont il les exprime. On a sur tout admiré le Caraétere de la fierté Romaine
qu'il a mis dans les Héros en qui l'Histoire marque qu'il a éclatté. Quoyqu'il