$o JEAN-BAPTISTE POQUELIN DE MOLIERE.
en peu de temps ; Et l'antre , que les femmes avoient une violente inclination
à devenir , ou du moins à paroistre Sçavantes , ce qui ne s'accorde point avec
l'esprit du ménagé , si necessaire pour conserver le bien dans les familles. Il
s'attachaà jetter du ridicule sur ces deux vices , ce qui a eu un effet beaucoup
au-deJà de tout ce qu'on pouvoit en esperer. Il composa deux Pieces contre le
premier de ces desordres , dont l'une est intitulée : Le Bourgeois Gentilhomme ,
& l'autre : Le Marquis de Pourceaugnac. Ily a apparence que les jeunes gens en
profitèrent , du moins s'apperceut-on que les airs outrez de Cavalier qu'ils se
donnoient diminuèrent à veüe d'œil. Contre le defaut qui regarde les femmes
il fit ausli deux Comedies ; L'une intitulée : Les Precieufes ridicules ; Et l'autre :
Les Femmes fiai)antes. Ces Comedies firent tant de honte aux Dames qui se pic-
quoienttrop de bel Esprit que toute la Nation des Precieuses s'éteignit en moins
de quinze jours, ou du moins elles se déguiserent si bien là-dessus qu'on n'en
trouva plus, ni à la Cour , ni à la Ville, & mesme depuis ce temps-là elles ont
esté plus en garde contre la réputation de Sçavantes & de Precieuses, que con-
tre celle de Galantes & de Dereglées.
Il fit aussi deux Comedies contre les Hypocrites & les Faux-dévots , sçavoir ,
le Festin de Pierre , Piece imitée sur celle des Italiens du mesme nom , & le
Tartuffe de son Invention. Cette Piece luy fit des affaires , parce qu'on en
faisoit des applications à des Personnes de grande consideration , & aussi par-
ce qu'on prétendit que la vertu & le vice en cette matiere se prenant aisé-
ment l'un pour l'autre, le ridicule tomboit presque également sur tous les deux,
& donnoit lieu de se mocquer des Personnes de Pieté & de leurs remontrances.
Cependant après quelques obstacles qui furent levez aussi-tost , il eut permission
entiere de la joüer publiquement.
11 attaqua encore les mauvais Medecins par deux Pieces fort Comiques ,
dont l'un est le Médecin malgré luy , & l'autre le Malade imaginaire. On peut
dire qu'il se méprit un peu dans cette derniere Piece , & qu'il ne se contint pas
dans les bornes du pouvoir de la Comedie ; car au lieu dese contenter de blâ-
mer les mauvais Medecins , il attaqua la Medecine en elle-mesme, la traitta
de Science frivole, & posa pour principe qu'il est ridicule à un Homme de
vouloir en guérir un autre. La Comedie s est tousjours mocquée des Rodomons
& de leurs rodomontades ; mais jamais elle n'a raillé, ni les vrais braves , ni la
vraye bravoure-, Elle s'est réjouie des Pedans & de la Pedanterie , mais elle n'a
jamais blâmé, ni les Sçavans, ni les Sciences. Suivant cette regle il n'a pu trop
mal-traitter les Charlatans & les ignorans Medecins , mais il devoit en demeu-
rer-là & ne pas tourner en ridicule les bons Medecins , que l'Ecriture mesme
nous enjoint d'honorer. Quoyqu'il en soit depuis les anciens Poëtes Grecs &:
galez & peut-estre surpassez dans le Comique, aucun autre n'a
Latins qu'il a é
eu tant de talent ni de réputation.
Il mourut le i;. Février de l'année 167% âgé de 52. ou „. ans. Il a ramassé en
luy seul tous les talens necessaires à un Comedien. Il a esté si excellent A&eur
pour le Comique , quoyque trés-mediocre pour le serieux , qu'il n'a peu estre
imité que très-imparfaitement par ceux qui ont joue son roolle après sa mort.
Il a aussi entendu admirablement les habits des Aéteurs en leur donnant leur
véritable caraétere , & il a eu encore le don de leur distribuer si bien les Person-
nages & de les instruire ensuite si parfaitement, qu'ils sembloient moins des
Acteurs de Comedie que les vrayes Personnes qu'ils representoient.