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L’ART.
Voici le début, tout à fait agréable et engageant, de la
Poupée :
Bébé joue à la dame et fait une visite.
Sa toilette bizarre et d’ordre composite
Etale les atours les plus extravagants :
Elle a mis le chapeau de sa mère et ses gants,
Une jupe de soie en manière de traîne,
Et prenant là-dessous des allures de reine,
Fièrement elle marche, en écoutant le bruit
Délicieux que fait l’étoffe qui la suit.
Elle parle et répond pour deux, car elle est seule.
Seule ? Non! Elle porte avec des soins d’aïeule,
Un objet enfoui dans des langes usés,
Bosselé par les chocs, terni par les baisers;
Une chose sans nom, veule, glabre, fripée,
Un moignon, le restant confus d’une poupée,
Le plus laid, mais le plus aimé de ses joujoux,
Pourquoi ? C’est un mystère... enfin que voulez-vous ?
Elle est tout à son rôle, et joue avec son âme :
« Pan ! Pan !
— Entrez.
— Comment, c'est vous ? Bonjour, madame.
— Bonjour, madame.
— Enfin, vous sortez donc ?
— Mais oui !
Je me suis décidée à sortir aujourd'hui.
— Vous allez bien ?
— Oh! bien... vous savez, une femme...
On a toujours quelque misère... et vous, madame?
— Oh! moi, très mal, toujours, mais les enfants vont mieux.
— Vous en avez beaucoup ?
— J’en ai douze !
— Oh !... des vieux ?
— Ils ont douze ans, madame, ils ont tous le même âge.
— Oh! que c’est donc commode !...
— A qui le dites-vous ?
— Oui, mais quel esclavage!
—- Vous en avez aussi ?
■— Oh! moi, je n'en ai qu'un, madame, celui-ci. »
(Montrant avec orgueil sa poupée éternelle).
« — Voyons?... Oh! le chéri!... C’est une demoiselle?
— Non, madame.
— Un garçon ?
— Non, madame, il n’est rien.
Puisqu’il n’a pas encor d’habits, vous voyez bien... »
Tout cela n’est-il pas délicieux? Que de grâce, que de
naïveté, que de naturel ! Et comme, à mille petits traits,
épars çà et là, on reconnaît le maître, l’admirable ouvrier
littéraire, auquel ses longs travaux ont donné une dexté-
rité merveilleuse !
Il y a aussi un bien charmant passage sur l’amour pro-
fond, vraiment maternel, que la petite tille — la future
femme — porte à sa chétive poupée :
Vraiment une tendresse immense était en clic.
Ce risible débris de chiffons et de peau,
C’était vraiment l’Enfant, pour elle, et pur et beau,
Le nouveau-né, l'amour fait chair, la fleur vivante!
Elle ne jouait plus, elle était vraiment mère !
Plus loin, le ton de ces vers s’élève encore. La petite
tille se plaint d’être délaissée, dans ses jeux, par son père,
que son travail absorbe. Et alors le poète explique à l’en-
fant, avec une grande noblesse de pensée et une rare élé-
vation de langage, pourquoi il agit ainsi :
Tu demandes pourquoi, ma tille bien-aimée,
Je tiens ainsi ma vie absurdement fermée,
Griffonnant tout le jour pour un but hasardeux,
Quand nous pourrions si bien jouer là, tous les deux ?
Tu veux savoir pourquoi, moi que tu croyais sage,
Je renonce à ma joie, à tout : à ton visage
Qui me repose, à ta candeur qui me défend,
A ton beau rire d’or qui me refait enfant,
A tous ces bruits charmants, à ces clartés d’aurore
Qu’éveille, à son lever, ta vie et que j’adore...
Je te le dirais bien, mais à quoi bon, hélas!
Quand je te le dirais, tu ne comprendrais pas :
C’est pour que ton cœur batte et pour que ton œil brille
Lorsque, sur ton passage, on dira : « C’est sa fille ! »
C'est pour qu'en grandissant mon nom te donne, un jour.
Cette fierté d’aimer nécessaire à l’amour;
C’est pour qu’enfin, plus tard, à l’heure où l’on oublie,
Quand je ne serai plus, ô ma chère folie,
(Ne pleure pas, enfant, — cela c'est l’avenir),
Lorsque je dormirai, même en ton souvenir,
Alors le souvenir des autres le ravive,
Et que, mort dans ton cœur, dans ton orgueil je vive,
Que tu m’aimes, voyant à quel point je t'aimais,
Lorsque tu le sauras... si tu le sais jamais!
Nous sommes assez loin, on le voit, de la Poupée qui
a servi de point de départ à cette poétique fantaisie. Qui
pourrait bien en écouter sans un frisson, sans une vibra-
tion secrète, cette tirade véhémente où passe le souffle du
grand art ?
La fin n’est pas moins accomplie. Le poète nous conte
que derrière le rideau de son cabinet il regarde parfois ses
fillettes montant en voiture, partant pour la promenade. Ce
n’est pas seulement un délicat tableau de genre, brossé
dans le sentiment le plus moderne, c’est en même temps
une page tout émue, tout imprégnée de douceur et d’af-
fection.
M. Adrien Marie, à qui était échue la tâche agréable
d'illustrer ce poème, a souvent saisi avec beaucoup d’à-
propos et d’habileté les intentions du poète. Signalons sur-
tout ses dessins du début, ceux où l’on voit la petite
fille, sa poupée entre les bras, jouer à la Madame, à la
visite. C’est très sobrement indiqué, avec beaucoup de
gentillesse et une pointe de malice aimable.
En somme, la Poupée est destinée à rencontrer un
accueil des plus flatteurs. Au milieu de travaux plus longs
et plus graves, l’éminent académicien a eu là une heure
de facile, sereine, et radieuse inspiration. Cet opuscule dis-
tingué tiendra, à coup sûr, sa place dans la série si variée
et si intéressante des écrits de M. Edouard Pailleron.
E. Dumont.
DXXXVIII
L’Exposition Universelle, par Henri df. Parvii.le, rédac-
teur de X Officiel et du Journal des Débats. Préface par
M. A. Al H H AND,
Directeur général des Travaux de l’Exposition Universelle de 1889
et des Travaux de la Ville de Paris et Inspecteur général des Ponts-et-Chaussées.
(Gravure extraite de : l’Exposition Universelle.)
M. Alphand, Directeur général des Travaux, Inspecteur
général des Ponts-et-Chaussées. In-18 de 800 pages,
orné de 700 vignettes. Paris, J. Rothschild, éditeur, i3,
rue des Saints-Pères.
Un souvenir exceptionnellement instructif de l’Expo-
sition.
L’ART.
Voici le début, tout à fait agréable et engageant, de la
Poupée :
Bébé joue à la dame et fait une visite.
Sa toilette bizarre et d’ordre composite
Etale les atours les plus extravagants :
Elle a mis le chapeau de sa mère et ses gants,
Une jupe de soie en manière de traîne,
Et prenant là-dessous des allures de reine,
Fièrement elle marche, en écoutant le bruit
Délicieux que fait l’étoffe qui la suit.
Elle parle et répond pour deux, car elle est seule.
Seule ? Non! Elle porte avec des soins d’aïeule,
Un objet enfoui dans des langes usés,
Bosselé par les chocs, terni par les baisers;
Une chose sans nom, veule, glabre, fripée,
Un moignon, le restant confus d’une poupée,
Le plus laid, mais le plus aimé de ses joujoux,
Pourquoi ? C’est un mystère... enfin que voulez-vous ?
Elle est tout à son rôle, et joue avec son âme :
« Pan ! Pan !
— Entrez.
— Comment, c'est vous ? Bonjour, madame.
— Bonjour, madame.
— Enfin, vous sortez donc ?
— Mais oui !
Je me suis décidée à sortir aujourd'hui.
— Vous allez bien ?
— Oh! bien... vous savez, une femme...
On a toujours quelque misère... et vous, madame?
— Oh! moi, très mal, toujours, mais les enfants vont mieux.
— Vous en avez beaucoup ?
— J’en ai douze !
— Oh !... des vieux ?
— Ils ont douze ans, madame, ils ont tous le même âge.
— Oh! que c’est donc commode !...
— A qui le dites-vous ?
— Oui, mais quel esclavage!
—- Vous en avez aussi ?
■— Oh! moi, je n'en ai qu'un, madame, celui-ci. »
(Montrant avec orgueil sa poupée éternelle).
« — Voyons?... Oh! le chéri!... C’est une demoiselle?
— Non, madame.
— Un garçon ?
— Non, madame, il n’est rien.
Puisqu’il n’a pas encor d’habits, vous voyez bien... »
Tout cela n’est-il pas délicieux? Que de grâce, que de
naïveté, que de naturel ! Et comme, à mille petits traits,
épars çà et là, on reconnaît le maître, l’admirable ouvrier
littéraire, auquel ses longs travaux ont donné une dexté-
rité merveilleuse !
Il y a aussi un bien charmant passage sur l’amour pro-
fond, vraiment maternel, que la petite tille — la future
femme — porte à sa chétive poupée :
Vraiment une tendresse immense était en clic.
Ce risible débris de chiffons et de peau,
C’était vraiment l’Enfant, pour elle, et pur et beau,
Le nouveau-né, l'amour fait chair, la fleur vivante!
Elle ne jouait plus, elle était vraiment mère !
Plus loin, le ton de ces vers s’élève encore. La petite
tille se plaint d’être délaissée, dans ses jeux, par son père,
que son travail absorbe. Et alors le poète explique à l’en-
fant, avec une grande noblesse de pensée et une rare élé-
vation de langage, pourquoi il agit ainsi :
Tu demandes pourquoi, ma tille bien-aimée,
Je tiens ainsi ma vie absurdement fermée,
Griffonnant tout le jour pour un but hasardeux,
Quand nous pourrions si bien jouer là, tous les deux ?
Tu veux savoir pourquoi, moi que tu croyais sage,
Je renonce à ma joie, à tout : à ton visage
Qui me repose, à ta candeur qui me défend,
A ton beau rire d’or qui me refait enfant,
A tous ces bruits charmants, à ces clartés d’aurore
Qu’éveille, à son lever, ta vie et que j’adore...
Je te le dirais bien, mais à quoi bon, hélas!
Quand je te le dirais, tu ne comprendrais pas :
C’est pour que ton cœur batte et pour que ton œil brille
Lorsque, sur ton passage, on dira : « C’est sa fille ! »
C'est pour qu'en grandissant mon nom te donne, un jour.
Cette fierté d’aimer nécessaire à l’amour;
C’est pour qu’enfin, plus tard, à l’heure où l’on oublie,
Quand je ne serai plus, ô ma chère folie,
(Ne pleure pas, enfant, — cela c'est l’avenir),
Lorsque je dormirai, même en ton souvenir,
Alors le souvenir des autres le ravive,
Et que, mort dans ton cœur, dans ton orgueil je vive,
Que tu m’aimes, voyant à quel point je t'aimais,
Lorsque tu le sauras... si tu le sais jamais!
Nous sommes assez loin, on le voit, de la Poupée qui
a servi de point de départ à cette poétique fantaisie. Qui
pourrait bien en écouter sans un frisson, sans une vibra-
tion secrète, cette tirade véhémente où passe le souffle du
grand art ?
La fin n’est pas moins accomplie. Le poète nous conte
que derrière le rideau de son cabinet il regarde parfois ses
fillettes montant en voiture, partant pour la promenade. Ce
n’est pas seulement un délicat tableau de genre, brossé
dans le sentiment le plus moderne, c’est en même temps
une page tout émue, tout imprégnée de douceur et d’af-
fection.
M. Adrien Marie, à qui était échue la tâche agréable
d'illustrer ce poème, a souvent saisi avec beaucoup d’à-
propos et d’habileté les intentions du poète. Signalons sur-
tout ses dessins du début, ceux où l’on voit la petite
fille, sa poupée entre les bras, jouer à la Madame, à la
visite. C’est très sobrement indiqué, avec beaucoup de
gentillesse et une pointe de malice aimable.
En somme, la Poupée est destinée à rencontrer un
accueil des plus flatteurs. Au milieu de travaux plus longs
et plus graves, l’éminent académicien a eu là une heure
de facile, sereine, et radieuse inspiration. Cet opuscule dis-
tingué tiendra, à coup sûr, sa place dans la série si variée
et si intéressante des écrits de M. Edouard Pailleron.
E. Dumont.
DXXXVIII
L’Exposition Universelle, par Henri df. Parvii.le, rédac-
teur de X Officiel et du Journal des Débats. Préface par
M. A. Al H H AND,
Directeur général des Travaux de l’Exposition Universelle de 1889
et des Travaux de la Ville de Paris et Inspecteur général des Ponts-et-Chaussées.
(Gravure extraite de : l’Exposition Universelle.)
M. Alphand, Directeur général des Travaux, Inspecteur
général des Ponts-et-Chaussées. In-18 de 800 pages,
orné de 700 vignettes. Paris, J. Rothschild, éditeur, i3,
rue des Saints-Pères.
Un souvenir exceptionnellement instructif de l’Expo-
sition.