LE MOBILIER A L'EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889.
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où il produit l’exquise sensation du ton sur ton des satins
de Lyon. L’originalité de cette fantaisie n’est pas médiocre ;
si elle ne satisfait pas absolument les coloristes ardents et
étonne un peu les amateurs du vieux genre, elle plaît fort
aux délicats.
Les innovations et les ingéniosités ne faisaient pas
défaut, d’ailleurs, dans cette exposition du Meuble. On y
sentait très vivement que la préoccupation de quelque
chose de neuf et d’imprévu agite constamment les esprits,
dans ce monde si actif et si vibrant de nos ébénistes, que
chacun s’ingénie, dans la mesure de ses moyens, à donner
à sa production un caractère original, afin d’attirer et de
retenir la clientèle. C’est la loi de concurrence. M. Viar-
dot a jeté son dévolu sur l’art d’Extrême-Orient; il fait
des mobiliers chinois avec une habileté prodigieuse,
atténuant spirituellement, par le goût français, l’excentri-
cité intempérante des formes indigènes. M. Gallé, le
célèbre verrier de Nancy, a entrepris de régénérer l’ébé-
nisterie moderne et procède révolutionnairement dans sa
mission idéale. Les bois exotiques sont généralement
dédaignés dans ses ateliers; il recherche au fond des
tourbières le chêne préhistorique, plutôt que d’employer
de l’ébène ou de l’acajou. Plus de laques, ni de vernis; la
chair de l’arbre doit se montrer à nu, telle que le rabot ou
le ciseau l’ont entaillée et polie. Les ornements classiques
des divers ordres doivent être laissés à l’Académie; l’artiste
s’en va cueillir autour de Nancy les fleurs des prés et les
plantes des bois. Sur les plateaux des tables, sur les van-
taux des buffets et des cabinets, il jette sa moisson cham-
pêtre, pieusement respectueux des fantaisies et des acci-
dents de la nature et du hasard. Dans les fabliaux, dans
les dictons populaires, il glane des pensées naïves, des
aphorismes simples, et les grave en graffiti ou les déroule
en phylactères. S’il aborde les grandes compositions déco-
ratives, Tacite, les chansons de gestes ou les romans du
Moyen-Age lui en fournissent seuls le thème, qui dans
son esprit ne peut être que grandiose ou patriotique. La
libellule qui déploie ses élytres, le colimaçon aux cornes
craintives, le houx épineux, la marguerite indiscrète,
contiennent toujours, pour lui, un symbole profond, gra-
cieux où philosophique, moral ou instructif à mettre en
ornements. Un succès pétillant est venu couronner une
tentative aussi audacieuse ; de subtils philosophes et mora-
listes ont commenté longuement ces ingénieuses inven-
Table-console Louis XIV,
par A. Blanqui. (Exposition Universelle de 1889.) — Dessin de Lucien Laurent-Gsell.
tions, qui apportent incontestablement une note pitto-
resque dans le meuble français.
Moins ambitieux et d’envolée plus modeste, MM. Fla-
chat et Cochet se distinguent paisiblement parmi leurs
collègues. Comme les aïeux de la vieille école lyonnaise,
ils travaillent vigoureusement le noyer et le chêne, et
les convertissent en cheminées monumentales, aux
formes puissantes, ornées de statues superbes, en buffets
d’une architecture toujours classique mais d’un beau
caractère décoratif. A côté de ces pièces majestueuses et
sévères, ils nous montrent une série d’œuvres, toutes de
grâce et d’élégance ; des cabinets Renaissance, où le bois
est ciselé, comme le sont à peine de précieuses orfèvreries,
avec mille délicatesses savoureuses de ciseau de maître,
une table-console Louis XVI, du dessin le plus exquis, un
cadre de miroir à distraire la plus coquette des femmes.
Dans une vitrine, véritable joyau d’ébénisterie, pour
rehausser le travail merveilleux du sculpteur, ils ont eu
l’ingéniosité de revêtir les fonds d’un semis d’or. L’effet
en est original et charmant. M. Blanqui, de Marseille, a
exposé une série de meubles, qui font également grand
honneur à l’industrie provinciale. Aucun ébéniste parisien
n’a produit une pièce de plus fière allure que le cabinet
en noyer, inséré dans un portique Renaissance, dont
M. Sédille a donné le dessin et auquel ont collaboré
M. André Allart, pour les superbes sphinx sculptés qui
supportent le corps supérieur et la figure de Pornone en
gaine dans les entre-portes, et M. Olivier Merson, pour
les peintures des deux médaillons en émail peints par
M. Courcy, Flore et Zéphir, qui ornent les vantaux. Ces
émaux, des plaques d’onyx, placés sur la corniche, dans
l’architrave du portique et sur le panneau du corps infé-
rieur du cabinet, donnent de la couleur à cet édicule ori-
ginal. Deux cabinets, l’un dans la manière Ducerceau, qui
rappelle par sa disposition générale une pièce célèbre de
la collection Chabrière-Arles, et un autre, de style
Louis XIV, avec de puissantes cariatides, soutiennent la
comparaison avec les plus remarquables œuvres pari-
siennes de l’Exposition. Un deuxième artiste marseillais,
M. Vallet, a envoyé un immense dressoir, que n’aurait
point désavoué un maître huchier du xve siècle, tant il est
pittoresque, truculent, fouillé avec habileté dans ses
sculptures nombreuses.
Il faut saluer avec enthousiasme cette Renaissance pro-
vinciale, qui se manifeste non seulement dans le mobilier,
mais avec plus d’éclat encore dans l’industrie des étoffes
et dans la céramique. Sur tous les points du pays, il y a
une floraison superbe du génie national. La grande réforme
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où il produit l’exquise sensation du ton sur ton des satins
de Lyon. L’originalité de cette fantaisie n’est pas médiocre ;
si elle ne satisfait pas absolument les coloristes ardents et
étonne un peu les amateurs du vieux genre, elle plaît fort
aux délicats.
Les innovations et les ingéniosités ne faisaient pas
défaut, d’ailleurs, dans cette exposition du Meuble. On y
sentait très vivement que la préoccupation de quelque
chose de neuf et d’imprévu agite constamment les esprits,
dans ce monde si actif et si vibrant de nos ébénistes, que
chacun s’ingénie, dans la mesure de ses moyens, à donner
à sa production un caractère original, afin d’attirer et de
retenir la clientèle. C’est la loi de concurrence. M. Viar-
dot a jeté son dévolu sur l’art d’Extrême-Orient; il fait
des mobiliers chinois avec une habileté prodigieuse,
atténuant spirituellement, par le goût français, l’excentri-
cité intempérante des formes indigènes. M. Gallé, le
célèbre verrier de Nancy, a entrepris de régénérer l’ébé-
nisterie moderne et procède révolutionnairement dans sa
mission idéale. Les bois exotiques sont généralement
dédaignés dans ses ateliers; il recherche au fond des
tourbières le chêne préhistorique, plutôt que d’employer
de l’ébène ou de l’acajou. Plus de laques, ni de vernis; la
chair de l’arbre doit se montrer à nu, telle que le rabot ou
le ciseau l’ont entaillée et polie. Les ornements classiques
des divers ordres doivent être laissés à l’Académie; l’artiste
s’en va cueillir autour de Nancy les fleurs des prés et les
plantes des bois. Sur les plateaux des tables, sur les van-
taux des buffets et des cabinets, il jette sa moisson cham-
pêtre, pieusement respectueux des fantaisies et des acci-
dents de la nature et du hasard. Dans les fabliaux, dans
les dictons populaires, il glane des pensées naïves, des
aphorismes simples, et les grave en graffiti ou les déroule
en phylactères. S’il aborde les grandes compositions déco-
ratives, Tacite, les chansons de gestes ou les romans du
Moyen-Age lui en fournissent seuls le thème, qui dans
son esprit ne peut être que grandiose ou patriotique. La
libellule qui déploie ses élytres, le colimaçon aux cornes
craintives, le houx épineux, la marguerite indiscrète,
contiennent toujours, pour lui, un symbole profond, gra-
cieux où philosophique, moral ou instructif à mettre en
ornements. Un succès pétillant est venu couronner une
tentative aussi audacieuse ; de subtils philosophes et mora-
listes ont commenté longuement ces ingénieuses inven-
Table-console Louis XIV,
par A. Blanqui. (Exposition Universelle de 1889.) — Dessin de Lucien Laurent-Gsell.
tions, qui apportent incontestablement une note pitto-
resque dans le meuble français.
Moins ambitieux et d’envolée plus modeste, MM. Fla-
chat et Cochet se distinguent paisiblement parmi leurs
collègues. Comme les aïeux de la vieille école lyonnaise,
ils travaillent vigoureusement le noyer et le chêne, et
les convertissent en cheminées monumentales, aux
formes puissantes, ornées de statues superbes, en buffets
d’une architecture toujours classique mais d’un beau
caractère décoratif. A côté de ces pièces majestueuses et
sévères, ils nous montrent une série d’œuvres, toutes de
grâce et d’élégance ; des cabinets Renaissance, où le bois
est ciselé, comme le sont à peine de précieuses orfèvreries,
avec mille délicatesses savoureuses de ciseau de maître,
une table-console Louis XVI, du dessin le plus exquis, un
cadre de miroir à distraire la plus coquette des femmes.
Dans une vitrine, véritable joyau d’ébénisterie, pour
rehausser le travail merveilleux du sculpteur, ils ont eu
l’ingéniosité de revêtir les fonds d’un semis d’or. L’effet
en est original et charmant. M. Blanqui, de Marseille, a
exposé une série de meubles, qui font également grand
honneur à l’industrie provinciale. Aucun ébéniste parisien
n’a produit une pièce de plus fière allure que le cabinet
en noyer, inséré dans un portique Renaissance, dont
M. Sédille a donné le dessin et auquel ont collaboré
M. André Allart, pour les superbes sphinx sculptés qui
supportent le corps supérieur et la figure de Pornone en
gaine dans les entre-portes, et M. Olivier Merson, pour
les peintures des deux médaillons en émail peints par
M. Courcy, Flore et Zéphir, qui ornent les vantaux. Ces
émaux, des plaques d’onyx, placés sur la corniche, dans
l’architrave du portique et sur le panneau du corps infé-
rieur du cabinet, donnent de la couleur à cet édicule ori-
ginal. Deux cabinets, l’un dans la manière Ducerceau, qui
rappelle par sa disposition générale une pièce célèbre de
la collection Chabrière-Arles, et un autre, de style
Louis XIV, avec de puissantes cariatides, soutiennent la
comparaison avec les plus remarquables œuvres pari-
siennes de l’Exposition. Un deuxième artiste marseillais,
M. Vallet, a envoyé un immense dressoir, que n’aurait
point désavoué un maître huchier du xve siècle, tant il est
pittoresque, truculent, fouillé avec habileté dans ses
sculptures nombreuses.
Il faut saluer avec enthousiasme cette Renaissance pro-
vinciale, qui se manifeste non seulement dans le mobilier,
mais avec plus d’éclat encore dans l’industrie des étoffes
et dans la céramique. Sur tous les points du pays, il y a
une floraison superbe du génie national. La grande réforme