Universitätsbibliothek HeidelbergUniversitätsbibliothek Heidelberg
Metadaten

L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 1)

DOI article:
Brès, Louis: Exposition universelle de 1889: l'art dans nos colonies et pays de protectorat, [4]
DOI Page / Citation link:
https://doi.org/10.11588/diglit.25869#0100

DWork-Logo
Overview
Facsimile
0.5
1 cm
facsimile
Scroll
OCR fulltext
88

L’ART.

montrant leurs physionomies espiègles. Et puis, des scènes
de la vie civile, des tableaux de la rue, la fête du génie
local où défile une procession d’offrandes gigantesques en
papier, chevaux, éléphants, bateaux vivement enluminés,
un incendie fourmillant d’épisodes pris sur le vif. Tout
cela rappelait assez bien, par sa sincérité naïve et l’absence
de perspective, certaines enluminures du Moyen-Age.

Mais où la vie annamite apparaissait avec une plus
saisissante réalité, c’était dans le village tonkinois. On y
avait installé, on s’en souvient, diverses industries artis-
tiques fonctionnant sous les yeux du public. Le succès
de cette exhibition a été complet. Nous y avons pris,

quant à nous, grand intérêt. Nous voyons encore, dans les
petites cases ouvertes sur la cour, les ouvriers vêtus d’étoffes
sombres, un madras noir autour de la tête, travaillant
accroupis ou les jambes croisées, indifférents aux regards
curieux de la foule. Les incrusteurs découpent à la lime
des papillons, des feuillages, des fleurettes, d’une incroyable
ténuité, qu’ils sertissent dans des panneaux de bois dur,
dont ils feront des coffrets ou des meubles ; les sculpteurs
fouillent le bois et l’ivoire, armés, en guise de maillet,
d’un court rondin de bois de fer qu’ils manœuvrent avec
infiniment de légèreté ; les brodeurs font éclore des fleurs
multicolores sous leurs doigts agiles ; les laqueurs plongent

Lits annamites et bat d’éléphant. (Pavillon du Cambodge.)
(Exposition Universelle de 1889.) — Dessin de L. Le Riverend.

leurs pinceaux dans des pots emplis du plus beau rouge
ou du noir le plus intense ; les tisseurs poussent, en s’ai-
dant des pieds et des mains, leur métier de bambou. Voici
un fabricant de lanternes en papier et de cerfs-volants qui,
gravement, combine, découpe et colle des oiseaux chimé-
riques. Dans un coin, c’est un faiseur de grands éventails
qui, ses jambes repliées sous lui, plonge la main dans une
corbeille pleine de légères plumes blanches qu’il fixe déli-
catement autour de son éventail. Tout ce petit monde
travaille silencieux, sans hâte, mais sans s’arrêter un
instant.

Nous aimerions dire un mot aussi d’un spectacle qui
nous a ouvert des échappées bien curieuses sur l’art de
l’Extrême-Orient; nous voulons parler du théâtre anna-
mite. D’une violence barbare assurément, avec son

orchestre discordant, ses cris déchirants, ses miaulements,
ses masques étrangement enluminés et grimaçants, les
costumes somptueux et la gesticulation bizarre de ses
acteurs, il nous intéressait malgré tout au plus haut point.
Tout cela nous l’avions vu, sans bien le comprendre, dans
les merveilleuses aquarelles du Japon, sur les panses des
potiches de Kioto ou de Canton, peuplées de mandarins
truculents ou de femmes aux attitudes énigmatiques dans
un Ilot de riches étoffes. Grâce au théâtre annamite, nous
avons vu s’animer ce monde des albums et des porce-
laines, nous en avons traduit les gestes, la physionomie,
la pensée; nous avons eu la clef de cet art original et sug-
gestif de l’Extrême-Orient.

Louis Brès.

(La fin prochainement.)
 
Annotationen