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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 1)

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Jullien, Adolphe: Eugène Renduel: l'éditeur de l'école romantique
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https://doi.org/10.11588/diglit.25869#0105

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92

L’ART.

même, aussitôt mon retour à Paris, d’aviser M. Philibert Audebrand de cette erreur, mais il se
reprit bien vite et par un retour qui s’explique à merveille : « A quoi bon? dit-il, on me croit
mort! Tant mieux, on me laisse en paix et l’on ne m’obsède pas de demandes que je m’attirerais
en proclamant que petit bonhomme vit encore. A leur aise et qu’ils débitent toutes leurs fables
au public : ce n’est pas moi qui les contredirai. »

Théophile Gautier, Sainte-Beuve et Jules Janin, ceux qui disparurent les derniers parmi les
chefs de l’armée romantique, ignoraient certainement que Renduel fût encore en vie et j’ai bien
étonné Paul Lacroix en lui apprenant, il y a quelque dix ans, que l’éditeur de ses Soirées de
Walter Scott, de ses Deux Fous, de son Roi des ribauds, n’était mort que plusieurs années après
la guerre : il le croyait enterré depuis longtemps. Victor Hugo, seul, parmi les têtes du roman-
tisme, a survécu à Renduel; mais ce n’est pas lui qui aurait apporté la moindre lumière sur des
faits que son biographe anonyme avait enchevêtrés, obscurcis avec un zèle pieux; il planait,
d’ailleurs, dans un nuage d’encens et ne percevait qu’un écho lointain des menus événements qui
se produisaient sur cette terre. A la mort de Renduel, arrivée en 1874, c’est-à-dire à une époque
où le grand poète avait encore toute sa vigueur d’esprit, il ne témoigna d’aucune façon qu’il se

souvînt de son ancien allié; bien plus, le journal
même où les intimes d'Hugo tenaient la plume inséra
en guise d’adieu un entrefilet assez dédaigneux. Ren-
duel est mort dans un château, put-on lire dans le
Rappel, donc il était riche ; il avait recueilli le fruit
de ses peines et le romantisme avait décidément du
bon puisqu’il avait donné la fortune à l’éditeur attitré
du parti. Toujours la préoccupation de l'argent, tou-
jours l’idée de bénéfice à réaliser aussi obsédante chez
les amis d’Hugo que chez lui-même.

La conclusion de ce raisonnement, d’ailleurs, était
aussi fausse que les prémisses. Château si l'on veut,
que la demeure de Renduel; mais château bien déchu
de sa splendeur passée : avec ses trois tours, avec la
haute terrasse qui dominait le cours du Beuvron, ce
petit castel avait encore assez bon air — de loin;
mais dès qu’on approchait et qu’on pénétrait dedans,
on voyait combien les modestes revenus de ces préten-
dus richards, vivant des produits d’une ferme annexée,
étaient insuffisants pour entretenir ce château ou plutôt ce fortin, élevé sans doute au temps
passé pour barrer la petite vallée du Beuvron. Renduel était loin d’avoir fait fortune et s’il avait
réalisé de beaux bénéfices pour l’époque avec les poésies de Victor Hugo jusques et y compris
les Voix intérieures, il avait perdu tout autant, d'autre part, avec les romans et les drames du
même qui ne se vendaient pas; mais il était obligé de les racheter, chaque année, avec les
volumes de vers, pour empêcher qu'un autre éditeur ne se les appropriât, quitte à perdre, afin
d’obtenir ensuite les poésies et d’enlever de la sorte à Renduel le drapeau romantique.

Victor Hugo, avec une entente des affaires qui touchait au génie, eut toujours l’art de tenir
ainsi ses éditeurs en haleine et de les contraindre à lui payer très cher des non-valeurs, par la
crainte qu’ils avaient de voir les volumes productifs leur échapper. En effet, il ne concluait avec
Renduel, — je parle seulement de lui parce que j'ai tous les traités originaux sous les yeux et
qu’ils visent justement les ouvrages les plus célèbres : romans, drames et poésies, du maître, —
il ne traitait, dis-je, avec Renduel que pour un temps très court, un an ou deux au plus, de
façon à pouvoir modifier les conditions si la vente de certains volumes progressait le moins du
monde ou si l’éditeur manifestait l’envie de publier les nouveaux recueils de vers qui viendraient
à éclore entre temps. C’est ainsi que Renduel, ayant racheté d année en année les Odes et
Ballades et les Orientales, antérieurement publiées chez d’autres éditeurs, eut de première main.

Eugène Renduel, par Jehan Du seigneur ( i 8 3 i
D’après le médaillon en bronze
appartenant à M. Adolphe Jullien.
 
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