L'ORFÈVRERIE CIVILE A L’EXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889. 145
Op. 56, écrites en forme de canon. Le premier canon est
à l’unisson; le second, à la quinte; le troisième, à l’oc-
tave. M. Rubinstein les a exécutées comme sur deux cla-
viers, en accentuant fortement les basses, qui, dans le
piano-pédalier, sont faites par le jeu des pieds. Malgré la
forme sévèrement savante du canon, ces trois Etudes sont
admirablement charmantes et la profonde érudition de la
forme ne s’y fait pas remarquer. Il existe peu de musique
en forme de canon qui soit aussi agréable à entendre.
César Cm.
(A suivre.)
Surtout de table en argent de style Louis XV,
par André Aucoc. (Exposition Universelle de 1889.)
L’ORFÈVRERIE CIVILE
A LJEXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
Décidément, la manière des Germain ou de Meisson-
nier n’a plus de secret pour nos orfèvres ; sous leurs doigts
agiles, les profils contournés se modèlent avec une aisance
et une grâce admirables, les feuillages se crispent et se
recroquevillent avec une fantaisie pleine d’imprévu, et
quelque grand seigneur de la cour de Louis XV ou l’une
des favorites du roi elle-même n’aurait eu aucune peine à
découvrir à l’Exposition un service de table ou une gar-
niture de toilette à son goût ; ils y auraient même trouvé
du style rocaille, plus rocaille que celui qu’ils chérissaient,
que nous chérissons, que j’aime moi-même, et agrémenté
parfois du sel de quelque solécisme. Mais est-ce à la visite
des boutiques des orfèvres à la mode au siècle dernier
qu’on nous avait conviés ? ou bien était-ce à l’exposition en
raccourci, au résumé des efforts de notre siècle dans le
noble art de l’orfèvrerie? Il est permis d’en douter. Il me
semble, — et je ne suis pas le seul à avoir cette impres-
sion, — que nos maîtres parisiens pratiquent par trop la
politique du renoncement, cèdent trop à la mode, qui
veut que tout soit xvme siècle ; c’est vraiment trop d’abné-
gation, et se maintenir plus longtemps dans une pareille
voie serait donner à entendre qu’ils sont impuissants à
créer quoi que ce soit d’original. Je commence à croire
que nous sommes destinés à voir refleurir successivement
tous les styles, reproduits, du reste, avec une fidélité et
une habileté de main incomparables, et que le xixe siècle
se terminera sans que nous soyons sortis de l’ornière de
l’imitation. Qui sait ? Il y a quinze ans, on pouvait encore
dire que l’ameublement du premier Empire n’était peut-
être pas l’une des inventions de nature à donner à nos
arrière-petits-enfants une haute idée de notre idéal artis-
Tome XLVIII.
tique au commencement de ce siècle; maintenant, il n’est
plus permis de formuler un jugement aussi déplacé sur les
chaises en forme de lyre, les fauteuils ornés de têtes de
cygnes ou de canards, les lavabos inspirés des autels
antiques, les guéridons juchés" sur des griffes de lion,
tous objets ressemblant à l’antiquité classique aussi fidè-
lement, à peu près, que les pendules troubadours rap-
pellent le mobilier du Moyen-Age. Quiconque oserait
publiquement émettre un tel avis aurait contre lui tout le
monde, tous les gens bien élevés qui suivent le courant et
qui, demain, adoreront les femmes à turbans si les turbans
reviennent à la mode. Du reste, nous avons encore du pain
sur la planche, comme on dit vulgairement. Quand nous
aurons assez du premier Empire, nous passerons à la Res-
tauration, f t le style Louis-Philippe aura notre préférence
quand sor ainé aura cessé de plaire. Braves marchands de
meubles J’occasion qui conservez jalousement toutes les
épaves de ces époques préhistoriques qui eurent sur nous
l’avantage de posséder un style, ne brûlez pas tous vos
vieux secrétaires, vos vieilles tables de nuit : un jour vien-
dra que ces acajous informes et vermoulus vous vaudront
une fortune.
J’avoue que cette façon de remâcher constamment
l’histoire de France, de refaire perpétuellement du neuf
avec du vieux n’est pas de mon goût, et qu’il est de par le
monde certaines personnes beaucoup plus compétentes
que moi en la matière qui déplorent également un pareil
état de choses ; sans en voir la fin d’une façon précise, on
espère que de l’excès du mal naîtra quelque jour le bien, et
qu’à force de nous frotter à ce bagage tant soit peu archéo-
logique, après lui avoir repris un à un ses procédés,-un
a 1
Op. 56, écrites en forme de canon. Le premier canon est
à l’unisson; le second, à la quinte; le troisième, à l’oc-
tave. M. Rubinstein les a exécutées comme sur deux cla-
viers, en accentuant fortement les basses, qui, dans le
piano-pédalier, sont faites par le jeu des pieds. Malgré la
forme sévèrement savante du canon, ces trois Etudes sont
admirablement charmantes et la profonde érudition de la
forme ne s’y fait pas remarquer. Il existe peu de musique
en forme de canon qui soit aussi agréable à entendre.
César Cm.
(A suivre.)
Surtout de table en argent de style Louis XV,
par André Aucoc. (Exposition Universelle de 1889.)
L’ORFÈVRERIE CIVILE
A LJEXPOSITION UNIVERSELLE DE 1889
Décidément, la manière des Germain ou de Meisson-
nier n’a plus de secret pour nos orfèvres ; sous leurs doigts
agiles, les profils contournés se modèlent avec une aisance
et une grâce admirables, les feuillages se crispent et se
recroquevillent avec une fantaisie pleine d’imprévu, et
quelque grand seigneur de la cour de Louis XV ou l’une
des favorites du roi elle-même n’aurait eu aucune peine à
découvrir à l’Exposition un service de table ou une gar-
niture de toilette à son goût ; ils y auraient même trouvé
du style rocaille, plus rocaille que celui qu’ils chérissaient,
que nous chérissons, que j’aime moi-même, et agrémenté
parfois du sel de quelque solécisme. Mais est-ce à la visite
des boutiques des orfèvres à la mode au siècle dernier
qu’on nous avait conviés ? ou bien était-ce à l’exposition en
raccourci, au résumé des efforts de notre siècle dans le
noble art de l’orfèvrerie? Il est permis d’en douter. Il me
semble, — et je ne suis pas le seul à avoir cette impres-
sion, — que nos maîtres parisiens pratiquent par trop la
politique du renoncement, cèdent trop à la mode, qui
veut que tout soit xvme siècle ; c’est vraiment trop d’abné-
gation, et se maintenir plus longtemps dans une pareille
voie serait donner à entendre qu’ils sont impuissants à
créer quoi que ce soit d’original. Je commence à croire
que nous sommes destinés à voir refleurir successivement
tous les styles, reproduits, du reste, avec une fidélité et
une habileté de main incomparables, et que le xixe siècle
se terminera sans que nous soyons sortis de l’ornière de
l’imitation. Qui sait ? Il y a quinze ans, on pouvait encore
dire que l’ameublement du premier Empire n’était peut-
être pas l’une des inventions de nature à donner à nos
arrière-petits-enfants une haute idée de notre idéal artis-
Tome XLVIII.
tique au commencement de ce siècle; maintenant, il n’est
plus permis de formuler un jugement aussi déplacé sur les
chaises en forme de lyre, les fauteuils ornés de têtes de
cygnes ou de canards, les lavabos inspirés des autels
antiques, les guéridons juchés" sur des griffes de lion,
tous objets ressemblant à l’antiquité classique aussi fidè-
lement, à peu près, que les pendules troubadours rap-
pellent le mobilier du Moyen-Age. Quiconque oserait
publiquement émettre un tel avis aurait contre lui tout le
monde, tous les gens bien élevés qui suivent le courant et
qui, demain, adoreront les femmes à turbans si les turbans
reviennent à la mode. Du reste, nous avons encore du pain
sur la planche, comme on dit vulgairement. Quand nous
aurons assez du premier Empire, nous passerons à la Res-
tauration, f t le style Louis-Philippe aura notre préférence
quand sor ainé aura cessé de plaire. Braves marchands de
meubles J’occasion qui conservez jalousement toutes les
épaves de ces époques préhistoriques qui eurent sur nous
l’avantage de posséder un style, ne brûlez pas tous vos
vieux secrétaires, vos vieilles tables de nuit : un jour vien-
dra que ces acajous informes et vermoulus vous vaudront
une fortune.
J’avoue que cette façon de remâcher constamment
l’histoire de France, de refaire perpétuellement du neuf
avec du vieux n’est pas de mon goût, et qu’il est de par le
monde certaines personnes beaucoup plus compétentes
que moi en la matière qui déplorent également un pareil
état de choses ; sans en voir la fin d’une façon précise, on
espère que de l’excès du mal naîtra quelque jour le bien, et
qu’à force de nous frotter à ce bagage tant soit peu archéo-
logique, après lui avoir repris un à un ses procédés,-un
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