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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 1)

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Molinier, Émile: L' orvèvrerie civile à l'exposition universelle de 1889, [1]
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https://doi.org/10.11588/diglit.25869#0161

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L’ART.

beau jour on se trouvera en possession d’une pléiade d’ar-
tistes et d’artisans qui, jetant le masque, quitteront ce
métier de copistes, feront acte d’indépendance et s’impo-
seront. C’est le but que l’on poursuit depuis tant d’années
par la création de Musées et d’Ecoles d’art décoratif,
remède homœopathique s’il en fut, qui a produit déjà et
produira dans la suite d’excellents résultats. Ce moment
n’est peut-être pas éloigné, car nous possédons une géné-
ration d’artistes de très grand talent, auxquels il ne manque
encore que le je ne sais quoi qui produira l’éclosion si
ardemment souhaitée. Mais il faut, pour que cette éclosion j
ou cette explosion, comme on voudra l’appeler, se pro-
duise, que le public s’en mêle et soit leur complice. Il
faut qu’il se trouve, et en grand nombre, comme autrefois,
des Mécènes conscients ou in-
conscients, peu importe, qui
renoncent à la manie du bibe-
lot ancien ou pseudo - ancien
pour encourager largement les
artistes de leur temps. C’est
pourtant un beau rôle, et en-
viable, que de concourir à la
création d’œuvres destinées à
montrer à la génération future
que nous ne fûmes ni des cré-
tins ni des plagiaires, et qu’ayant
créé l’archéologie, nous sûmes
faire refleurir les arts mineurs,
les plus indispensables de tous, •
puisque les produits qu’ils en-
fantent sont nos amis et nos
compagnons de chaque jour.

Mais si l’on trouve avec facilité
des gens capables de dépenser
quelques centaines de mille
francs pour un objet d’art an-
cien, en est-il beaucoup, parmi
ceux qui pourraient jouer au
Louis XIV, qui auraient le
courage de risquer une somme
équivalente en une commande
de réussite chanceuse en d’un
placement incertain ? J1 y en a
encore quelques-uns, Dieu
merci, qui ont cette audace,
mais on les taxe de folie, sans
réfléchir que cela est bientôt
dit. Si certainement nos prédé-
cesseurs avaient fait comme
nous, où en serions-nous nous-
mêmes ? Et tous ces beaux

objets qui font l’orgueil de nos Musées, dont nous nous
disputons la possession, car tout le monde est amateur
aujourd’hui, où seraient-ils si nos ancêtres n’avaient
aimé que le vieux et n’avaient estimé un objet qu’en rai-
son de son âge et de son état délabré ? Il y a là un cercle
vicieux dans lequel on tourne perpétuellement, sans pou-
voir s’entendre les uns et les autres, comme si l’on ne par-
lait point la même langue. Que les Musées s’enrichissent
des œuvres du passé, les abritent avec un soin religieux,
comme des témoins de notre histoire, des monuments
souvent admirables, toujours intéressants, qui marquent
les vicissitudes et les progrès de l’art, des modèles, des
maîtres dignes de tous nos respects, à consulter quand
nous craignons de faire fausse route; mais, de grâce,
renonçons aux ameublements fantaisistes, où tous les
styles se coudoient, où l’ancien et le pseudo-ancien font
mauvais ménage avec le moderne ; abandonnons ce goût

des vieilles choses aux archéologues, qui nous les expli-
queront, ce qui ne sera pas toujours superflu, et mettons-
nous résolument dans nos meubles. Archéologue moi-
même, je n’ai pas le droit de venir médire de la science
que j’étudie, quoique des plus indignes; mais qu’il me
soit permis de faire pour ma très petite part mon mea
culpa et de trouver qu’après nous avoir rendu des services,
l’archéologie, par ses débordements et ses développements
incongrus, est en train de nous perdre, de nous fausser le
goût et de nous rendre impuissants.

Cela dit, personne n’a fait, je crois, aucune difficulté
de reconnaître que nos orfèvres n’aient envoyé à l’Expo-
sition des pièces fort remarquables. Après avoir fait tant
de réserves, je n’en serai que plus à mon aise pour louer

le surtout de table exécuté par
M. Boin-Taburet avec le con-
cours d’artistes qui n’en sont
plus à leur coup d’essai. Tout
cela est fort somptueux, fort
beau, bien qu’un peu compli-
qué parfois ; les deux pièces
dont on trouvera la reproduc-
tion ici même me dispenseront
de faire la description de ces
monuments d’orfèvrerie que
pour ma part je trouve tout
aussi respectables que de véri-
tables pièces du xvme siècle,
l’originalité en moins; l’exé-
cution matérielle, au dire des
gens du métier, est excellente;
l’on ne peut rien souhaiter de
plus fini, de mieux pomponné
que ce beau seau à glace dont
les anses me paraissent s’em-
mancher d’une façon bien un
peu lourde sur la panse du
vase; un peu plus de simpli-
cité ne serait peut-être pas dé-
placée , car la décoration est
assez riche et les lignes déjà
suffisamment tourmentées dans
le profil général de la pièce et
les cartouches qui l’ornent ;
mais n’oublions pas que nous
sommes dans l’atelier de l’un
des plus fervents adeptes du
xvme siècle, ce dont nous ne
saurions d’ailleurs faire un
crime à lui plutôt qu’à un
autre de ses confrères ; son
atelier, du reste, est de ceux sur lesquels on peut fonder
les plus légitimes espérances ; il n’est pas de ceux qui
tenteront d’enrayer le mouvement en avant le jour ou un
artiste aura découvert la formule de l’orfèvrerie de notre
époque.

M. Aucoc, dont nous montrons ici une corbeille et un
beau vase, est encore un amateur du style rocaille et ses
pièces ont une tournure charmante avec leurs allures tour-
mentées; mais franchement je lui préfère encore les pièces
exposées par M. Froment-Meurice. Il y a là dedans, du
moins, un effort de composition et l’on ne s’en est pas
tiré en consultant Meissonnier et Germain; et quelque
virtuosité que l’on montre à copier ces maîtres, très diffi-
ciles à imiter parce qu’un rien exagère leurs défauts et
peut gâter tout l’ensemble, je préfère encore une œuvre
tout à fait originale, même si elle n’est pas à l’abri de
toute critique. Ce n’est pas absolument nouveau, je le veux

Vasë en vieux chine bleu,
avec monture en argent de style Louis XV, par André Aucoc.
(Exposition Universelle de 1889.)
 
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