184
L’ART.
des hôtels et des maisons bourgeoises des siècles derniers.
Des collectionneurs de flair recherchaient les vieilles ser-
rures, les vieux cadres, les vieux coffrets, etc., routes choses
devenues, à cette heure, de grand prix et introuvables.
Aujourd’hui, il n’est pas, en Europe, un musée d’art et
d’industrie qui ne possède des séries considérables de fers
forgés. Partout et presque simultanément s’est produite la
renaissance de cet art industriel charmant, dont les appli-
cations dans l’architecture et dans le mobilier sont si mul-
tiples et si variées. Les maîtres orfèvres ne dédaignaient
point cette matière du fer,
si noble dans sa simplicité,
si souple, si malléable, et
qu’ils rendirent, par leur
talent et par leur imagi-
nation, précieux à l’égal
de l’argent et du bronze.
J’ai trouvé, au South Ken-
sington, qui a acheté, de-
puis 185 1, les plus belles
œuvres modernes des Ex-
positions universelles, des
pièces de grand art exécu-
tées parles Morel-Ladeuil,
les Carrier, etc. Des archi-
tectes de talent offrirent
aux nouveaux maîtres for-
gerons une collaboration
importante, dans la déco-
ration des hôtels privés et
des édifices publics, dont
la construction leur était
confiée. En 1867, l’Expo-
sition universelle comptait
déjà une section du fer
forgé, modeste, mais où
les belles œuvres ne fai-
saient point défaut. En
1878, cette section avait
pris un certain développe-
ment. En 1889, elle occu-
pait une place considé-
rable, dont l’extension
avait dépassé les prévisions
des organisateurs, et, pour
donner satisfaction à toutes
les demandes, il n’avait
rien moins fallu qu’attri-
buer à une partie des expo-
sants, et des plus sérieux,
un grand emplacement
dans la Galerie des Ma-
chines, en dehors des
locaux d’exposition des
industries diverses, deve-
nus trop exigus.
Au milieu de la galerie de la classe 25, à côté de l’hor-
loge monumentale de Constant Se'vin, M. Ferdinand
Marrou avait dressé une fontaine monumentale en fer
forgé et repoussé au marteau, qui évoquait immédiatement
à l’esprit le souvenir de la glorieuse fontaine de Quentin
Matsys, de la place du Parvis de Notre-Dame, à Anvers.
Et, la comparaison qui suivait cette évocation n’était
point, en dépit de la consécration légendaire de l’œuvre
du vieux maître flamand, défavorable à celle du maître
rouennais contemporain. Il y a à reconnaître, en outre de
la question d’art, un certain mérite particulier à ce dernier,
l’exécution spontanée, sans commande, avec peu d’illu-
sions sur les difficultés commerciales de la vente, d'une
pièce aussi colossale, qui a coûté une grande somme de
travail et d’argent. Quelque prosaïque que puisse paraître
cette réflexion incidente, je n’hésite point à l’écrire, comme
un témoignage de haute considération, pour une initia-
tive hardie, qui honore grandement l’industriel et l’artiste.
Trois colonnettes sveltes, formées d’une tige vigoureuse,
sur laquelle des corolles fermées forment des renflements
qui en corrigent la rigidité, supportent un berceau, se ter-
minant par un épi, d’où émerge une statue de femme
ailée. De cette membrure
s’élancent, en frondaisons
exubérantes, des branches,
souples et gracieuses, qui
s'enroulent, dans leurs dé-
veloppements, en rinceaux
et en volutes. Les pre-
mières branches forment,
en se rejoignant au centre
de la fontaine, un piédestal
à une figure allégorique,
et, extérieurement, elles
servent de supports à des
génies. Le berceau est un
fouillis charmant de pé-
doncules. de pistils, de
rosaces et de palmettes,
où l'on ne sait quoi admi-
rer le plus, de l’ingéniosité
de la composition ou de
la perfection du travail.
A aucune époque, le fer
n’a été conduit parle mar-
teau avec plus de délica-
tesse et d’énergie et ne s'est
étiré avec plus de souplesse
et plus de grâce. Il semble
que ce soit là œuvre de la
nature, sous la poussée de
la sève du printemps ; c’est
de belle venue. J’ai envié
ce beau travail de ferron-
nerie pour un carrefour,
pour un square, où elle
serait de fort bonne mine,
en toute saison. Il nous
manque, à Paris, de cet
élément d’ornementation,
qui convient fort bien à
notre climat, par la résis-
tance du métal aux intem-
péries, et qui appartient a
un art si français, par les
qualités particulières de
haute aptitude que sa
pratique exige et par des
traditions séculaires de maîtrise.
M. de Laborde, dans son Utopie de la Manufacture
nationale des industries d’art, plaçait la ferronnerie monu-
mentale, au premier rang parmi celles dont le souverain et
les municipalités devaient poursuivre avec le plus de solli-
citude la renaissance brillante, pour la décoration de la
cité. L’Exposition de 1889 eût réservé certainement une
grande joie à ce hardi eu puissant novateur, qui écrivait,
en 185 1, ce vœu ardent : « Le fer forgé produira des mer-
veilles, quand on lui demandera d’assouplir en larges rin-
ceaux de fleurs et de feuillages les rampes des escaliers,
les appuis des fenêtres et les balcons intérieurs. Donnezà
Fontaine en fer forgé et repoussé au marteau,
par M. Ferdinand Marron, de Rouen. — (Exposition Universelle de 1889.)
L’ART.
des hôtels et des maisons bourgeoises des siècles derniers.
Des collectionneurs de flair recherchaient les vieilles ser-
rures, les vieux cadres, les vieux coffrets, etc., routes choses
devenues, à cette heure, de grand prix et introuvables.
Aujourd’hui, il n’est pas, en Europe, un musée d’art et
d’industrie qui ne possède des séries considérables de fers
forgés. Partout et presque simultanément s’est produite la
renaissance de cet art industriel charmant, dont les appli-
cations dans l’architecture et dans le mobilier sont si mul-
tiples et si variées. Les maîtres orfèvres ne dédaignaient
point cette matière du fer,
si noble dans sa simplicité,
si souple, si malléable, et
qu’ils rendirent, par leur
talent et par leur imagi-
nation, précieux à l’égal
de l’argent et du bronze.
J’ai trouvé, au South Ken-
sington, qui a acheté, de-
puis 185 1, les plus belles
œuvres modernes des Ex-
positions universelles, des
pièces de grand art exécu-
tées parles Morel-Ladeuil,
les Carrier, etc. Des archi-
tectes de talent offrirent
aux nouveaux maîtres for-
gerons une collaboration
importante, dans la déco-
ration des hôtels privés et
des édifices publics, dont
la construction leur était
confiée. En 1867, l’Expo-
sition universelle comptait
déjà une section du fer
forgé, modeste, mais où
les belles œuvres ne fai-
saient point défaut. En
1878, cette section avait
pris un certain développe-
ment. En 1889, elle occu-
pait une place considé-
rable, dont l’extension
avait dépassé les prévisions
des organisateurs, et, pour
donner satisfaction à toutes
les demandes, il n’avait
rien moins fallu qu’attri-
buer à une partie des expo-
sants, et des plus sérieux,
un grand emplacement
dans la Galerie des Ma-
chines, en dehors des
locaux d’exposition des
industries diverses, deve-
nus trop exigus.
Au milieu de la galerie de la classe 25, à côté de l’hor-
loge monumentale de Constant Se'vin, M. Ferdinand
Marrou avait dressé une fontaine monumentale en fer
forgé et repoussé au marteau, qui évoquait immédiatement
à l’esprit le souvenir de la glorieuse fontaine de Quentin
Matsys, de la place du Parvis de Notre-Dame, à Anvers.
Et, la comparaison qui suivait cette évocation n’était
point, en dépit de la consécration légendaire de l’œuvre
du vieux maître flamand, défavorable à celle du maître
rouennais contemporain. Il y a à reconnaître, en outre de
la question d’art, un certain mérite particulier à ce dernier,
l’exécution spontanée, sans commande, avec peu d’illu-
sions sur les difficultés commerciales de la vente, d'une
pièce aussi colossale, qui a coûté une grande somme de
travail et d’argent. Quelque prosaïque que puisse paraître
cette réflexion incidente, je n’hésite point à l’écrire, comme
un témoignage de haute considération, pour une initia-
tive hardie, qui honore grandement l’industriel et l’artiste.
Trois colonnettes sveltes, formées d’une tige vigoureuse,
sur laquelle des corolles fermées forment des renflements
qui en corrigent la rigidité, supportent un berceau, se ter-
minant par un épi, d’où émerge une statue de femme
ailée. De cette membrure
s’élancent, en frondaisons
exubérantes, des branches,
souples et gracieuses, qui
s'enroulent, dans leurs dé-
veloppements, en rinceaux
et en volutes. Les pre-
mières branches forment,
en se rejoignant au centre
de la fontaine, un piédestal
à une figure allégorique,
et, extérieurement, elles
servent de supports à des
génies. Le berceau est un
fouillis charmant de pé-
doncules. de pistils, de
rosaces et de palmettes,
où l'on ne sait quoi admi-
rer le plus, de l’ingéniosité
de la composition ou de
la perfection du travail.
A aucune époque, le fer
n’a été conduit parle mar-
teau avec plus de délica-
tesse et d’énergie et ne s'est
étiré avec plus de souplesse
et plus de grâce. Il semble
que ce soit là œuvre de la
nature, sous la poussée de
la sève du printemps ; c’est
de belle venue. J’ai envié
ce beau travail de ferron-
nerie pour un carrefour,
pour un square, où elle
serait de fort bonne mine,
en toute saison. Il nous
manque, à Paris, de cet
élément d’ornementation,
qui convient fort bien à
notre climat, par la résis-
tance du métal aux intem-
péries, et qui appartient a
un art si français, par les
qualités particulières de
haute aptitude que sa
pratique exige et par des
traditions séculaires de maîtrise.
M. de Laborde, dans son Utopie de la Manufacture
nationale des industries d’art, plaçait la ferronnerie monu-
mentale, au premier rang parmi celles dont le souverain et
les municipalités devaient poursuivre avec le plus de solli-
citude la renaissance brillante, pour la décoration de la
cité. L’Exposition de 1889 eût réservé certainement une
grande joie à ce hardi eu puissant novateur, qui écrivait,
en 185 1, ce vœu ardent : « Le fer forgé produira des mer-
veilles, quand on lui demandera d’assouplir en larges rin-
ceaux de fleurs et de feuillages les rampes des escaliers,
les appuis des fenêtres et les balcons intérieurs. Donnezà
Fontaine en fer forgé et repoussé au marteau,
par M. Ferdinand Marron, de Rouen. — (Exposition Universelle de 1889.)