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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 1)

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Lefranc, F.: Le naturalisme contemporain: d'apres une conférence de M. Brunetière
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LE NATURALISME CONTEMPORAIN.

CONFÉRENCE DE M. BRUNETIÈRE. 2o3

traditions rompues, un culte sans images, des habitudes
parcimonieuses, trouver un art qui lui plût, dont il saisit
la convenance et qui le représentât. Un écrivain de notre
temps, très éclairé en ces matières, a fort spirituellement
répondu qu’un pareil peuple n’avait plus qu’à se proposer
une chose très simple et très hardie, la seule au reste qui
depuis cinquante ans lui eût constamment réussi : exiger
qu’on fît son portrait.

« Le mot dit tout. La peinture hollandaise, on s’en aper-
çut bien vite, ne fut et ne pouvait être que le portrait de
la Hollande, son image extérieure,fidèle, exacte,complète,
ressemblante, sans nul embellissement. Le portrait des
hommes et des lieux, des mœurs bourgeoises, des places,
des rues, des campagnes, de la mer et du ciel, tel devait
être, réduit à ses éléments primitifs, le programme suivi
par l’école hollandaise, et tel il fut depuis le premier jour
jusqu’à son déclin.

« En apparence, rien n’était plus simple que la décou-
verte de cet art terre à terre ; depuis qu’on s’exerçait à
peindre, on n’avait rien imaginé qui fût aussi vaste et plus
nouveau. D’un seul coup, tout est changé dans la manière
de concevoir, de voir et de rendre.

« Tel point de vue, tel style, et tel style, telle méthode. Si
l’on écarte Rembrandt, qui fait exception, chez lui comme
ailleurs, en son temps comme dans tous les temps, vous
n’apercevez qu’un style et qu’une méthode dans les ateliers
de la Hollande.Le but est d'imiter ce qui est, de faire aimer
ce qu’on imite, d’exprimer nettement des sensations sim-
ples, vives et justes. Le style aura donc la simplicité et la
clarté du principe. Il a pour loi d’être sincère, pour obli-
gation d’être véridique. Sa condition première est d’être
familier, naturel et physionomique ; il résulte d’un ensem-
ble de qualités morales : la naïveté, la volonté patiente, la
droiture. On dirait des vertus domestiques transportées de
la vie privée dans la pratique des arts et qui servent égale-
ment à se bien conduire et à bien peindre. Si vous ôtiez de
l’art hollandais ce qu’on pourrait appeler la probité,
vous n’en comprendriez plus l’élément vital, et il ne
serait plus possible d’en définir ni la moralité, ni le style.
Mais, de même qu’il y a dans la vie la plus pratique des
mobiles qui relèvent la manière d’agir, de même dans cet
art réputé si positif, dans ces peintres réputés pour la plu-
part des copistes à vues courtes, vous sentez une hauteur
et une bonté d'âme, une tendresse pour le vrai, une cor-
dialité pour le réel, qui donnent à leurs œuvres un prix
que les choses ne semblent pas avoir. De là leur idéal,
idéal un peu méconnu, passablement dédaigné, indubitable
pour qui veut bien le saisir et très attachant pour qui sait
le goûter. Par moments, un grain de sensibilité plus cha-
leureuse fait d’eux des penseurs, même des poètes. »

« Le prix de la sympathie est donc évident et c’est elle
qui fait la grandeur morale et esthétique des peintres hol-
landais. Le naturalisme en a besoin parce qu’il s’attache à
représenter des choses qui sont vulgaires ou indifférentes
et qu’on ne peut rendre attrayantes que par la sympathie.
On l’a trop oublié de nos jours. L’artiste n’aime point son
sujet, le plus souvent. Voyez Homais tel que l’a peint
Flaubert. C’est un homme insupportable,aux plaisanteries
lourdes toujours; c’est une caricature qui fait rire ; on ne
saurait s’y attacher. Un Anglais ou un Hollandais l’aurait
peint tout autrement. Cet homme est sot, il est vrai, mais
a soin de ses enfants, il aime sa femme, il a des vertus
domestiques ; un naturaliste, digne de ce nom, en aurait
tenu compte, et le personnage eût été tout différent.

« C’est là, d’ailleurs, une grosse question et qui est inti-
mement liée au pessimisme. On méprise à l’ordinaire
cette doctrine philosophique, parce qu’on l’entend mal,
mais il est facile aussi de la bien prendre. Le pessimisme

enseigne que la nature est mauvaise, comme aussi la vie, et
que l’homme lui-même ne vaut rien. La nature nous tend
toutes sortes de pièges et elle a mis en nous des instincts
qui vont directement à notre destruction. La vie est mêlée
de souffranceet de plaisir, mais la souffrance est plus forte;
elle dure longtemps et le plaisir est court ; l’homme enfin
porte au dedans de lui des instincts violents et égoïstes ;
ils tiennent, pour le chrétien, à la tache originelle; pour les
autres, au sang de l’animal dont nous sortons.Les natura-
listes français acceptent cette doctrine et ils n’y trouvent
qu’une raison de mépriser la nature. Tout autre est la
conclusion des naturalistes étrangers. La nature est mau-
vaise, disent-ils, combattons-la,dominons-lapar la science
et par l’industrie ; la vie est mauvaise, associons-nous,
unissons-nouspour vivre ensemble; l’homme est mauvais
comme animal, résistons à nos instincts, soumettons-les à
la raison. Ainsi compris, le pessimisme n’engendre pas le
mépris et l’indifférence, mais la vertu et le dévouement.
Georges Eliot et Dostoiewski sont des pessimistes très
humains et très propres à réconforter les hommes.

« Il y a, enfin, pour l’art naturaliste, une dernière raison
de sympathie. L’art classique, aux tendances idéalistes,
avec ses héros supérieurs au commun des hommes, ne
s’adressait point à tout le monde. L’écrivain était lui-même
une sorte de mandarin et ne parlait qu’à ses égaux. Le
naturalisme est plus ambitieux, il a la prétention de ne
pas négliger la foule ; il veut descendre jusqu’à elle ou
l’élever jusqu’à lui; il est donc nécessaire qu’il soit moral.
S’il peint les humbles, il faut qu’il les aime et la moitié de
sa force réside dans sa sympathie. Nul ne l’a mieux com-
pris que George Eliot et nul ne l’a mieux fait comprendre.
« Honneur, dit-elle, et respect à la perfection divine de la
forme. Recherchons-la autant que possible chez les hom-
mes, les femmes et les enfants, dans nos jardins et nos
demeures. Mais sachons aussi aimer cette autre beauté qui
ne réside point dans les secrets de la proportion, mais dans
ceux d’une profonde sympathie humaine. Peignez, si vous
le voulez, un ange à la robe violette et au visage éclatant
de lumière céleste ; peignez encore plus souvent une
madone à douce figure levée vers le ciel, étendant les bras
pour recevoir la gloire divine ; mais ne nous imposez
aucune règle esthétique qui doive bannir des régions de
l’art ces vieilles femmes préparant des carottes de leurs
mains desséchées ; ces lourds danseurs festoyant dans une
taverne enfumée ; ces dos arrondis, ces visages simples et
hâlés qui se sont courbés sur la bêche et ont supporté le
rude travail de ce monde ; ces intérieurs avec leurs plats
d’étain, leurs cruches brunes, leurs chiens au poil grossier
et leurs chaînes d’oignons. Il se trouve tant de ces gens
communs et grossiers, dont la vie n’offre aucune infortune
sentimentalement pittoresque ! Il est nécessaire que nous
nous rappelions leur existence, autrement nous pourrions
en venir à les laisser tout à fait en dehors de notre religion
et de notre philosophie, et établir des théories si élevées
qu’elles ne s’adapteraient qu’à un monde exceptionnel. Que
la peinture, en conséquence, nous les rappelle toujours ;
ayons constamment des hommes prêts à donner, avec
amour, le travail de leur vie à la représentation fidèle des
choses simples, des hommes qui sachent voir la beautédes
objets ordinaires, et trouvent leur bonheur à montrer
comment la lumière des deux prend plaisir à les éclairer.
Il y a peu de prophètes dans le monde, peu de femmes
d’une beauté sublime, peu de héros. Je ne puis parvenir à
donner tout mon amour et tout mon respect à de telles
raretés. J’ai besoin d’une partie de ces sentiments pour
mes semblables de chaque jour, surtout pour le petit
nombre de ceux qui forment pour moi le premier plan de
cette grande multitude, ceux dont je connais le visage,
 
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