SALON DE 1890.
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style, coloré de façon grêle, maigre, lisse, ce tableau ressemble à une image qui, n'était l'indé-
cence du sujet, pourrait servir à l’illustration d’un livre dans le genre des histoires de Théodose
Burette ou de Lamé-Fleury. Cet ensemble exhale un ineffable parfum de romance. Sûrement
l’infortunée lady Godiva, ainsi figurée, aurait fait couler les larmes de l'homme sensible qui, dans
l’épigramme acérée de Racine, pleure « sur ce pauvre Holopherne ». Cette femme nue, un peu
ventrue, sur un cheval blanc découpé, sans relief, affectant une pose et une expression mélodra-
matiques, est éclairée par un jour blême. L’aspect est glacial. Il paraît que les peintres peuvent,,
aussi bien que les poètes, pratiquer ce style froid que Longin enseignait à éviter. En somme,
cet épisode, pour être bien traité, eût exigé un certain sens légendaire qui fait ici complètement
défaut. L’effet moral qui s'en dégage est mesquin et de mauvais goût, et, considéré uniquement
dans son apparence optique et sensible, ce tableau démontre jusqu’à l’évidence combien l’auteur
La Moisson, a Marquillies.
Dessin de Henry Pluchart, d’après son tableau. — (Salon de 1890.)
a peu de prise sur les belles richesses substantielles de la nature, peu d’aptitude à en reproduire-
le jeu, la saveur et l’éclat.
II
On ne lit plus guère aujourd’hui les Salons d'Edmond About. Dans celui de 1866, je trouve-
ceci : « M. Bouguereau est un véritable artiste, et l'un des plus complets que nous ayons à
Paris. » Prenez le contre-pied de cette phrase, et vous approcherez de la vérité. « Grand homme,
si l’on veut, mais poète, non pas ! » Allez voir les Petites Mendiantes de ce « véritable artiste » ;
admirez ces pieds propres, et les cheveux de la plus jeune, éparpillés dans un désordre savant.
Avec quel plaisir on lui donnerait dix centimes, à cette mignonne, pour en être débarrassé ! C’est
vraiment la « petite poupée de sucre » dont il est question dans un récit de Tourgueneff. Sur
le tout, plane une sentimentalité ridicule et peu sérieuse, rappelant les couplets « émus » qui
font partie obligée des opérettes d’ailleurs les plus grivoises.
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style, coloré de façon grêle, maigre, lisse, ce tableau ressemble à une image qui, n'était l'indé-
cence du sujet, pourrait servir à l’illustration d’un livre dans le genre des histoires de Théodose
Burette ou de Lamé-Fleury. Cet ensemble exhale un ineffable parfum de romance. Sûrement
l’infortunée lady Godiva, ainsi figurée, aurait fait couler les larmes de l'homme sensible qui, dans
l’épigramme acérée de Racine, pleure « sur ce pauvre Holopherne ». Cette femme nue, un peu
ventrue, sur un cheval blanc découpé, sans relief, affectant une pose et une expression mélodra-
matiques, est éclairée par un jour blême. L’aspect est glacial. Il paraît que les peintres peuvent,,
aussi bien que les poètes, pratiquer ce style froid que Longin enseignait à éviter. En somme,
cet épisode, pour être bien traité, eût exigé un certain sens légendaire qui fait ici complètement
défaut. L’effet moral qui s'en dégage est mesquin et de mauvais goût, et, considéré uniquement
dans son apparence optique et sensible, ce tableau démontre jusqu’à l’évidence combien l’auteur
La Moisson, a Marquillies.
Dessin de Henry Pluchart, d’après son tableau. — (Salon de 1890.)
a peu de prise sur les belles richesses substantielles de la nature, peu d’aptitude à en reproduire-
le jeu, la saveur et l’éclat.
II
On ne lit plus guère aujourd’hui les Salons d'Edmond About. Dans celui de 1866, je trouve-
ceci : « M. Bouguereau est un véritable artiste, et l'un des plus complets que nous ayons à
Paris. » Prenez le contre-pied de cette phrase, et vous approcherez de la vérité. « Grand homme,
si l’on veut, mais poète, non pas ! » Allez voir les Petites Mendiantes de ce « véritable artiste » ;
admirez ces pieds propres, et les cheveux de la plus jeune, éparpillés dans un désordre savant.
Avec quel plaisir on lui donnerait dix centimes, à cette mignonne, pour en être débarrassé ! C’est
vraiment la « petite poupée de sucre » dont il est question dans un récit de Tourgueneff. Sur
le tout, plane une sentimentalité ridicule et peu sérieuse, rappelant les couplets « émus » qui
font partie obligée des opérettes d’ailleurs les plus grivoises.