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L’ART
Comme les romanciers, les peintres, suivant leurs préférences, leurs aptitudes et leur
éducation, s’appliquent à représenter la vie plébéienne, la vie bourgeoise ou la vie mondaine.
Mais, comme l’a dit M. Edmond de Goncourt : il est relativement facile de faire des « Fille
Élisa » et des « Assommoir », tandis qu’il est malaisé de rendre les complexités de la vie des
« classes dirigeantes ». Ce dernier genre est pauvrement représenté. Faut-il ranger dans cette
catégorie l’œuvre de M. Mousset ? Nous y voyons une jeune femme à sa toilette, occupée à
soigner ses pieds, près d’une fenêtre qui donne sur un jardin. Elle porte, comme on disait chez
M"e Quinault, le jour où Mme d’Épinay y dîna avec Saint-Lambert, « le vêtement qui joint si
bien partout », c’est-à-dire qu’elle est nue ; son accoutrement nous renseigne donc peu sur son
état social ; mais, à en juger par les accessoires qui chargent la tablette de marbre, elle n’est
Bateau disparu.
Dessin de Souza-Pinto, d’après son tableau. — (Salon de 1890.)
pas précisément inscrite au bureau de bienfaisance, et le corps qu’elle fourbit doit être réservé
aux caresses, de la main droite ou de la main gauche, d’un homme qui acquitte beaucoup
d’impôts.
Nous admirons fort le Blagueur, de M. Evariste Carpentier, ces gamins en plein air, assis
ou étendus sur l'herbe, et cet autre debout, dans la petite figure rieuse duquel le soleil donne
en plein; il débite une histoire probablement peu vraisemblable, en tenant à la main un fouet
improvisé. M. Gueldry a peint avec quelque vigueur et quelque humour : Un Jour de régates,
la berge noire de monde, les eaux et les embarcations, les figures et les costumes. M. Simon
nous montre, Che\ le pharmacien, une sorte de Coupeau qui a été écrasé ; les badauds sont
ameutés derrière la vitrine, et l’on aperçoit ces éclatants « bocaux du pharmacien » chantés par
M. Jean Richepin. Il y a beaucoup de sérieux et de talent dans l’œuvre de M. Buland : Premier
Baiser, ces fiancés entourés de leur famille en habit de fête; pauvres visages vulgaires, observés
avec un sentiment rare et traités avec une solidité remarquable, non exempte peut-être d’un peu
L’ART
Comme les romanciers, les peintres, suivant leurs préférences, leurs aptitudes et leur
éducation, s’appliquent à représenter la vie plébéienne, la vie bourgeoise ou la vie mondaine.
Mais, comme l’a dit M. Edmond de Goncourt : il est relativement facile de faire des « Fille
Élisa » et des « Assommoir », tandis qu’il est malaisé de rendre les complexités de la vie des
« classes dirigeantes ». Ce dernier genre est pauvrement représenté. Faut-il ranger dans cette
catégorie l’œuvre de M. Mousset ? Nous y voyons une jeune femme à sa toilette, occupée à
soigner ses pieds, près d’une fenêtre qui donne sur un jardin. Elle porte, comme on disait chez
M"e Quinault, le jour où Mme d’Épinay y dîna avec Saint-Lambert, « le vêtement qui joint si
bien partout », c’est-à-dire qu’elle est nue ; son accoutrement nous renseigne donc peu sur son
état social ; mais, à en juger par les accessoires qui chargent la tablette de marbre, elle n’est
Bateau disparu.
Dessin de Souza-Pinto, d’après son tableau. — (Salon de 1890.)
pas précisément inscrite au bureau de bienfaisance, et le corps qu’elle fourbit doit être réservé
aux caresses, de la main droite ou de la main gauche, d’un homme qui acquitte beaucoup
d’impôts.
Nous admirons fort le Blagueur, de M. Evariste Carpentier, ces gamins en plein air, assis
ou étendus sur l'herbe, et cet autre debout, dans la petite figure rieuse duquel le soleil donne
en plein; il débite une histoire probablement peu vraisemblable, en tenant à la main un fouet
improvisé. M. Gueldry a peint avec quelque vigueur et quelque humour : Un Jour de régates,
la berge noire de monde, les eaux et les embarcations, les figures et les costumes. M. Simon
nous montre, Che\ le pharmacien, une sorte de Coupeau qui a été écrasé ; les badauds sont
ameutés derrière la vitrine, et l’on aperçoit ces éclatants « bocaux du pharmacien » chantés par
M. Jean Richepin. Il y a beaucoup de sérieux et de talent dans l’œuvre de M. Buland : Premier
Baiser, ces fiancés entourés de leur famille en habit de fête; pauvres visages vulgaires, observés
avec un sentiment rare et traités avec une solidité remarquable, non exempte peut-être d’un peu