SALON DE 1890.
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Les trois ou quatre autres étrangers ne sont là que pour faire nombre. Leur abstention
n’eût pas nui.
Président d'une section plus que clairsemée, M. Dalou, du moment où il se décidait à
exposer, a tenu à honneur d’être représenté par une œuvre importante ; il ne s’est pas contenté
d’un bon Buste de M. Charles Floquet, d’un marbre : Tête d’enfant, d’un bas-relief en bronze :
les Châtiments, et du Modèle de la statue de Lavoisier, exécutée pour la Sorbonne, œuvres
dignes d’attention; il nous soumet en outre son Modèle de la statue de Victor Noir, pour le
tombeau de la victime de Pierre Bonaparte. Il a représenté
Victor Noir étendu mort sur le sol et n'a pas oublié le
chapeau tombé à terre, à deux pas, chapeau qui est peut-
être une pièce justificative historique, mais n’est pas préci-
sément d’un effet très pittoresque. L’aspect d’ensemble
n’est guère monumental ; le sujet y prêtait peu. Ce qui
est grandement à louer, ce sont les progrès sérieux appor-
tés à la facture de M: Dalou ; elle est beaucoup plus serrée
et ne sent nulle part l’improvisation.
M. Auguste Rodin, un maître, le meilleur, mais aussi
le plus naïf des humains, m’a fait l’honneur de m’ap-
prendre que c’est par amitié pour moi, l’adversaire-né
des récompenses, médailles et autres ridicules bons points
artistiques, que c’est par application de mes principes qu’il
a chaleureusement contribué à la fondation d’une Société
qui supprime en effet tous ces hochets mais se hâte de
les remplacer par des titres de membres fondateurs, de
membres sociétaires, de membres associés, grandeurs suc-
cessives auxquelles on ne parvient, pour les deux derniers
titres, que cc si l’on en a été jugé digne en assemblée
générale des sociétaires ! ! ! » C’est en créant ce nouveau
genre de chinoiseries, en appliquant ces honneurs savam-
ment gradués que, selon mon excellent ami Rodin, on
constitue une association largement ouverte. Cela ne
manque pas d’une certaine gaieté et mieux encore d’une
insondable logique de la part d’un artiste dont le talent,
que nul ne surpasse, fut si longtemps cruellement méconnu
et dont l’existence demeura, pendant des années et des
années, plus que précaire, douloureuse au delà de toute
idée.
Mais, de même qu’il est absurde de demander à un
pommier de produire des roses, il serait insensé d’attendre
de Rodin autre chose que de la sculpture magistrale. On
était, en conséquence, certain — il y a des gens qui ont
de ces illusions-là — qu’étant un des dix-huit fondateurs, — car ils sont dix-huit fondateurs,
pas un de plus, pas un de moins, — il allait s’affirmer par quelque œuvre considérable, à ce
début de sa Société nationale des Beaux-Arts.
Rodin a jugé qu’il suffisait de placer sous l’énorme dôme de M. Formigé, qui les écrase et
les réduit à l’état de pains à cacheter, certains morceaux minuscules merveilleusement modelés,
mais qui, parfois, ne sont pas exempts de maniérisme, tant les lignes en sont capricieusement
tourmentées, commencement d’un défaut qui inquiète les vrais amis, ceux de la première heure,
ceux dont la discrétion leur défend de fatiguer l’artiste de toute importunité, mais qui le suivent
d’un regard d’autant plus dévoué qu’ils lui voient aujourd'hui une armée de flatteurs ; il arrive
à ceux-ci de remplacer auprès de lui la franchise par l’encens le plus ignorant.
ssæsftr
Souffleur de verre.
Dessin de Constantin Meunier,
d’après son bronze exposé au Champ de Mars.
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Les trois ou quatre autres étrangers ne sont là que pour faire nombre. Leur abstention
n’eût pas nui.
Président d'une section plus que clairsemée, M. Dalou, du moment où il se décidait à
exposer, a tenu à honneur d’être représenté par une œuvre importante ; il ne s’est pas contenté
d’un bon Buste de M. Charles Floquet, d’un marbre : Tête d’enfant, d’un bas-relief en bronze :
les Châtiments, et du Modèle de la statue de Lavoisier, exécutée pour la Sorbonne, œuvres
dignes d’attention; il nous soumet en outre son Modèle de la statue de Victor Noir, pour le
tombeau de la victime de Pierre Bonaparte. Il a représenté
Victor Noir étendu mort sur le sol et n'a pas oublié le
chapeau tombé à terre, à deux pas, chapeau qui est peut-
être une pièce justificative historique, mais n’est pas préci-
sément d’un effet très pittoresque. L’aspect d’ensemble
n’est guère monumental ; le sujet y prêtait peu. Ce qui
est grandement à louer, ce sont les progrès sérieux appor-
tés à la facture de M: Dalou ; elle est beaucoup plus serrée
et ne sent nulle part l’improvisation.
M. Auguste Rodin, un maître, le meilleur, mais aussi
le plus naïf des humains, m’a fait l’honneur de m’ap-
prendre que c’est par amitié pour moi, l’adversaire-né
des récompenses, médailles et autres ridicules bons points
artistiques, que c’est par application de mes principes qu’il
a chaleureusement contribué à la fondation d’une Société
qui supprime en effet tous ces hochets mais se hâte de
les remplacer par des titres de membres fondateurs, de
membres sociétaires, de membres associés, grandeurs suc-
cessives auxquelles on ne parvient, pour les deux derniers
titres, que cc si l’on en a été jugé digne en assemblée
générale des sociétaires ! ! ! » C’est en créant ce nouveau
genre de chinoiseries, en appliquant ces honneurs savam-
ment gradués que, selon mon excellent ami Rodin, on
constitue une association largement ouverte. Cela ne
manque pas d’une certaine gaieté et mieux encore d’une
insondable logique de la part d’un artiste dont le talent,
que nul ne surpasse, fut si longtemps cruellement méconnu
et dont l’existence demeura, pendant des années et des
années, plus que précaire, douloureuse au delà de toute
idée.
Mais, de même qu’il est absurde de demander à un
pommier de produire des roses, il serait insensé d’attendre
de Rodin autre chose que de la sculpture magistrale. On
était, en conséquence, certain — il y a des gens qui ont
de ces illusions-là — qu’étant un des dix-huit fondateurs, — car ils sont dix-huit fondateurs,
pas un de plus, pas un de moins, — il allait s’affirmer par quelque œuvre considérable, à ce
début de sa Société nationale des Beaux-Arts.
Rodin a jugé qu’il suffisait de placer sous l’énorme dôme de M. Formigé, qui les écrase et
les réduit à l’état de pains à cacheter, certains morceaux minuscules merveilleusement modelés,
mais qui, parfois, ne sont pas exempts de maniérisme, tant les lignes en sont capricieusement
tourmentées, commencement d’un défaut qui inquiète les vrais amis, ceux de la première heure,
ceux dont la discrétion leur défend de fatiguer l’artiste de toute importunité, mais qui le suivent
d’un regard d’autant plus dévoué qu’ils lui voient aujourd'hui une armée de flatteurs ; il arrive
à ceux-ci de remplacer auprès de lui la franchise par l’encens le plus ignorant.
ssæsftr
Souffleur de verre.
Dessin de Constantin Meunier,
d’après son bronze exposé au Champ de Mars.