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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 1)

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Hustin, A.: Jules Dupré, [3]
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264

L’ART.

qu’ils s’approchaient d’une fontaine, ils faillirent être tués
par un paysan.

C’était l’époque du choléra. Ses ravages avaient jeté la
panique. Il se mêla, à l’effroi général, des rumeurs d’em-
poisonnement. Bientôt, ce fut une croyance enracinée
dans le peuple que des agents mystérieux se répandaient
partout pour corrompre les eaux. Cabat et Dupré, qui
.venaient de Paris, le foyer du fléau, où un mot, un geste
allumait la colère aveugle et faisait jeter à la Seine d’in-
nocentes victimes, qu’on qualifiait d’assassins, n’échap-
pèrent point à la commune défiance. Ils furent suspectés.
Le jour dont nous parlons, un paysan les suivit, le fusil
sur l’épaule. 11 guetta le moment où ils allaient s’installer
à la fontaine. Heureusement, le motif ne leur plaisait
point. Ils rebroussèrent chemin. Notre paysan reconnut
sa méprise et il eut la franchise des aveux : « Je croyais
que vous alliez empoisonner la source. Si vous y aviez
touché, je vous aurais
tués ! »

Là, cependant, ne de-
vaient point se borner
leurs émotions. Des ré-
fugiés polonais vinrent à
passer. Dupré, enthou-
siaste, se précipitait au
devant d’eux chaque fois
que des groupes étaient
annoncés. Il leur serrait
la main, et bien que son
porte-monnaie ne fût
point, à l’époque, fort
garni, il ne manquait ja-
mais de leur glisser
quelque menue monnaie
dans la main, se faisant
raconter les épisodes du
siège de Varsovie et pro-
testant contre le dernier
ukase du czar, qu’il ap-
pelait un insolent défi
aux idées de droit, de
justice et de nationalité.

Lorsque Dupré quitta
Tendu, il y laissa des
regrets. L’aubergiste Pé-
rot avait un frère, qui
avait été colonel du pre-
mier Empire. Ce colonel avait une fille, qui venait souvent
chez son oncle et qui s’était éprise du jeune paysagiste.
Elle était jeune, jolie, séduisante. Dupré, qui n’avait point
de fortune et gagnait à peine pour lui-même, n’encou-
ragea point cette inclination. Longtemps, cependant, la
jeune fille l’attendit. Ce fut en vain. Dupré partit pour
l’Angleterre et les beaux rêves longtemps caressés durent
s’évanouir devant la réalité.

A Tendu même, Dupré avait arrêté .dans son esprit la
composition de cet Intérieur de ferme, qui fut adjugé
20,000 francs à la vente de la collection Faure. Dans une
conversation que Sensier nous a conservée, Dupré en
contait ainsi la genèse :

« C’est ma sœur Mariette qui a posé pour la paysanne,
car je n’avais fait qu’un dessin de l’intérieur, à Tendu. Le
reste a été peint à Paris. J’avais habillé ma sœur en Ber-
richonne, avec des vêtements rapportés par moi de Tendu.
J’ai fait le tableau en quelques jours.

« Quand je le portai à l’Exposition, Audiot l’enregis-
trait. M. de Forbin arriva : un grand homme sec, à belle
figure noble de gentilhomme.

« Il regarda mon tableau et dit : « Qui a fait cela ? »

« — Voilà, lui dit Audiot en me montrant.

« ■— Ah! cela est excellent, monsieur; c’est une note
rare. Belle lumière, belles natures mortes, bonne pein-
ture... Mais les enfants, là-bas au fond, ont l’air d’une
fausseœouche. »

Et Dupré ajoutait à Sensier :

« Le fait est qu’ils ont l’air de vieux. Je les ai faits de
chic ! »

Depuis, Cabat et Dupré se perdirent longtemps de vue.
Ils ne s’oublièrent pas cependant. Un jour de l’année 1886,
Cabat invita Dupré. Celui-ci répondit par le billet sui-
vant :

« Comme ta bonne petite lettre m’a fait plaisir, mon
cher Cabat. Il est triste de penser que de vieux amis
comme nous le sommes ne trouvent jamais l’occasion de
se serrer la main. Je ne vais plus du tout à Paris, sans cela

j’aurais accepté de grand
cœur ton aimable invi-
tation.

« Mais toi, échappe-
toi aupremier beau temps
et viens passer une bonne
journée avec moi. Tu
prendras l’air des
champs, cela te fera
grand bien. Nous devi-
serons un peu du passé
de notre jeunesse. Elle
est si loin! Il me semble
que ça n’est jamais arrivé.

« A bientôt, j’espère,
mon ami. Crois-moi,
comme toujours, bien à
toi. De tout cœur.

« J. Dupré.

« L’Isle-Adam,

7 mars 86. »

IV

DUPRÉ

ET

TH. ROUSSEAU

Nous avons indiqué
quels avaient été la liai-
son des deux maîtres, leurs relations, leurs voyages, leur
installation à Montsoult.

La lettre suivante de Rousseau, alors dans la Creuse, à
Dupré retenu à Paris, va préciser quelles étaient, en 1835,
leurs préoccupations réciproques :

« Le Fay (par Argenton-sur-Creuse).

« i5 décembre 1835.

« Mon cher Dupré,

« Dans le pays fabuleux du Fay, je me suis mis à pour-
suivre trop longtemps une chimère ; elle me tient encore
en haleine, mais la queue tout au plus me restera dans la
main. Vous connaissez bien la chambre du portail; eh
bien, voyez-y votre homme au milieu des bocages ver-
doyants qu’y fait naître sa brillante imagination avec
laquelle il se démène à la manière de Don Quichotte.
Mon cher ami, il faut m’écrire vite et avoir la complai-
sance de mettre un petit paquet d’argent à mon adresse,
car me voici las. Je me trouve la folie d’une vieille femme
qui a un numéro à la loterie. Je vais être condamné à

Type du Berry ( i 8 34). — Dessin de Jules Dupré.
 
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