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L' art: revue hebdomadaire illustrée — 16.1890 (Teil 1)

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Hustin, A.: Jules Dupré, [3]
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https://doi.org/10.11588/diglit.25869#0300

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JULES DUPRE

265

revenir comme ma pauvre malle, ma compagne d’infor-
tune, avec du linge sale; j’étais parti brave pourtant; m’y
voilà encore une fois pris ; heureusement encore que vous
m’avez adressé à de braves gens qui ont bien eu soin de
me faire boire et manger de telle sorte qu’à l’extérieur j’ai
encore l’air d’un homme comme un autre. Sans cet anti-
dote, j’aurais couru le risque d’intriguer par trop les braves
habitants du pays qui me demandent souvent si c’est que
je veux tirer tout le pays en perspective. Ne manquez pas
de m’écrire, je vous prie, ne serait-ce qu’un mot, j’en tirerai
beaucoup de satisfaction. Si ma bonne humeur avait pu se
maintenir un peu, il y a longtemps que vous auriez eu des
bulletins de mes campagnes. Vous avez vu mon ami
Thierry qui vous en a dit la plus riante moitié, mais,
entre nous, c’était déjà un peu forcé. Vous avez fait pro-
bablement un ou deux bons tableaux, et je me promets du
plaisir de les voir encore plus] peut-être que je connais
votre patrie. Sans com-
pliments, je dois vous
dire que je trouve votre
peinture une bien belle
expression du pays, et
je n’ai pas manqué de
porter votre souvenir à
chaque individu de celte
gracieuse campagne.

J’irai vous prendre à
Paris au débotté, et, si
vous voulez, nous dé-
cachéterons ensemble
deux esquisses faites
depuis longtemps déjà
et que je ne veux pas
voir avant, crainte de
ne pas résister à une
déception complète.

J’attends un mot de
vous pour partir, et
suis à vous de tout mon
cœur comme un ami
sincère.

« Th. Rousseau.

« Mes compliments
et mes bons souvenirs
à votre famille.

« M. Delaneau, qui
a écrit hier à M. Comte
pour réclamer un kilomètre arriéré sur le parcours d’Ar-
genton et de la ville (Aubrais) ? vous serait bien obligé de
l’appuyer d’un mot, ainsi que pour réclamer le sixième
cheval à mettre aux malles qui sont trop lourdes pour
cinq. Je vous fais de sa part des compliments affectueux ;
il me parle fort souvent de vous.

« Ne dites rien de mes chagrins aux infidèles. J’aime
mieux pour eux être n’importe quoi que d’avoir ce ridicule
à leurs yeux.

« A M. Jules Dupré.

« Avenue Frochot (rue Bréda). »

Ces « infidèles » que Rousseau redoutait si fort, Dupré
n’avait jamais manqué une occasion de les catéchiser, de
tenter de les convertir et de leur faire acheter ses tableaux.
Il en accrochait dans son propre atelier, et c’est en en
décrivant avec enthousiasme les mérites qu’un jour il
réussit à vendre à Baroilhet le Marais dans les Landes,
que les beaux esprits du temps avaient baptisé de « Soqpe

aux herbes », et la Descente des vaches, le premier pour
5oo fr., la seconde pour ioo fr.

Quand Dupré porta ces 600 fr. à son ami, Rousseau
n'avait pas un sou !

Parlant de ce second tableau à Sensier, Dupré retraçait
en ces termes l’impression qu’il avait produite sur lui :

« Rousseau venait de finir sa Descente des vaches du
Jura. Ce tableau me renversa; il avait pour moi l’impor-
tance, la grandeur et le côté épique du Naufrage de la
Méduse. Les montagnes neigeuses qui apparaissent à tra-
vers les sapins en glaciers ardents, solides et éternels, me
semblaient une vision magnifique. Ses pentes sombres et
claires, le ciel bleu intense, toutes ces grandes harmonies
de la nature, tous ces spectacles splendides se tenaient
ensemble comme une vaste symphonie. Je fus écrasé. Je
trouvai là une grande peinture.

« Quelque temps après, je vis son Allée de châtai-
gniers à son atelier de
la rue Taitbout.Tableau
magnifique, fait dans
des conditions impos-
sibles, dans une cham-
bre réduite, sans recu-
lée, avec un jour droit
d’en haut.

« Dévorant le tra-
vail, je fus abasourdi.
C’était un chef-d’œuvre
d’art, une harmonie
constante au milieu
d’un inextricable réseau
de troncs d’arbres, de
branches, de ramures,
de groupes feuillus, le
tout conduit avec une
une logique d'intelli-
gence à désespérer le
plus patient, avec un
ordre imperturbable de
chaque genre, de cha-
que famille, de chaque
sens caractéristique de
la nature; le tout dans
une lumière tranquille
et puissante, dans un
silence où chaque voix,
chaque écho s’enten-
dait sans se nuire et
comme dans une musique ardente et placide.

« Je vis bien que c’était le plus grand peintre de notre
époque, sans en excepter Delacroix, et je maintiens encore
mon idée. C’est lui le plus grand, je le mets au-dessus de
Ruisdael, d’Hobbema.

« Je ne mets que Claude au-dessus de lui, et encore,
quand je vois son Port de Messine. »

Pour répondre à une demande de renseignements com-
plémentaires que Sensier lui avait adressée au sujet de
cette Descente des vaches, Dupré s’était donné la peine de
faire l’histoire de ce tableau. Mais, au moment de l’envoyer,
il jeta son manuscrit au feu, comme en témoigne la lettre
suivante, dont on appréciera la piquante conclusion :

« 20 février 1868.

« Je vous avais écrit une longue lettre, mon cher Sen-
sier, trop longue même, car m’étant aperçu que je faisais
de la littérature sans le savoir, comme M. Jourdain faisait
de la prose, j’ai jeté au feu mon précieux manuscrit, ne tra-
vaillant pas pour l’impression; vous m’avez promis de
 
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