VOYAGE EN ESPAGNE.
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mille habitants, nous nous sommes demandé ce que sont devenus ces
onze mille écoliers qui, pendant trois jours, festoyèrent François Ier
captif, et lui firent oublier les disgrâces de la guerre. Nous avons cher-
ché la savante phalange de professeurs, la pieuse cohorte de moines,
les corporations d'ouvriers auxquels l'industrie donnait l'impulsion;
mais cette ville n'est plus qu'un désert; sa population hautaine ne
montre que le reflet inculte du pédantisme.
Tout le monde connaît la fameuse Biblie polyglotte, en 6 volumes
in-folio, œuvre importante sortie des ateliers d'Alcala, et dont l'exécu-
tion coûta cinquante-deux mille ducats. Cette Biblie, dans l'histoire
typographique d'Espagne, apparut comme une comète flamboyante
après laquelle recommença la nuit : elle n'en fait que mieux ressortir
la chute intellectuelle du lieu où l'œuvre s'est exécutée.
Parmi les ruines d'Alcala de Hénarès, parmi des inscriptions effa-
cées auxquelles personne ne songe, j'avais cherché vainement le nom
d'Antoine de Solis, historien fleuri de la conquête du Mexique. Je ne
fus pas plus heureux à l'égard des célébrités de Guadalajara, presque
aussi nombreuses que celles de sa voisine.
GUADALAJARA.
Ici, le souvenir des Mendozas, les Médicis de l'Espagne, paraît seul
vainqueur de l'oubli, mais accolé à maintes ruines, à maintes dégra-
dations. Ce fut dans le palais de l'Infantado, immense édifice de style
grec, romain, mauresque et gothique mélangés, que naquit le car-
dinal de Mendoza, connu sous le nom de grand cardinal; demeure
princière, bien déchue depuis le jour où François Ier l'occupa pour
assister aux fêtes données par le duc de l'Infantado. Les salles les plus
belles, converties en magasins, coupées, transformées, badigeonnées,
présentent un tableau des plus tristes. J'aime mieux descendre au fond
du panthéon de cette orgueilleuse famille que de me promener parmi
les lambeaux de sa splendeur : près d'un tombeau, du moins, les
ruines s'harmonisent avec la mort; mais l'élégance déchue témoigne
des vicissitudes humaines, et nous confirme dans le sentiment de dé-
dain que mérite la fortune.
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mille habitants, nous nous sommes demandé ce que sont devenus ces
onze mille écoliers qui, pendant trois jours, festoyèrent François Ier
captif, et lui firent oublier les disgrâces de la guerre. Nous avons cher-
ché la savante phalange de professeurs, la pieuse cohorte de moines,
les corporations d'ouvriers auxquels l'industrie donnait l'impulsion;
mais cette ville n'est plus qu'un désert; sa population hautaine ne
montre que le reflet inculte du pédantisme.
Tout le monde connaît la fameuse Biblie polyglotte, en 6 volumes
in-folio, œuvre importante sortie des ateliers d'Alcala, et dont l'exécu-
tion coûta cinquante-deux mille ducats. Cette Biblie, dans l'histoire
typographique d'Espagne, apparut comme une comète flamboyante
après laquelle recommença la nuit : elle n'en fait que mieux ressortir
la chute intellectuelle du lieu où l'œuvre s'est exécutée.
Parmi les ruines d'Alcala de Hénarès, parmi des inscriptions effa-
cées auxquelles personne ne songe, j'avais cherché vainement le nom
d'Antoine de Solis, historien fleuri de la conquête du Mexique. Je ne
fus pas plus heureux à l'égard des célébrités de Guadalajara, presque
aussi nombreuses que celles de sa voisine.
GUADALAJARA.
Ici, le souvenir des Mendozas, les Médicis de l'Espagne, paraît seul
vainqueur de l'oubli, mais accolé à maintes ruines, à maintes dégra-
dations. Ce fut dans le palais de l'Infantado, immense édifice de style
grec, romain, mauresque et gothique mélangés, que naquit le car-
dinal de Mendoza, connu sous le nom de grand cardinal; demeure
princière, bien déchue depuis le jour où François Ier l'occupa pour
assister aux fêtes données par le duc de l'Infantado. Les salles les plus
belles, converties en magasins, coupées, transformées, badigeonnées,
présentent un tableau des plus tristes. J'aime mieux descendre au fond
du panthéon de cette orgueilleuse famille que de me promener parmi
les lambeaux de sa splendeur : près d'un tombeau, du moins, les
ruines s'harmonisent avec la mort; mais l'élégance déchue témoigne
des vicissitudes humaines, et nous confirme dans le sentiment de dé-
dain que mérite la fortune.