VOYAGE EN ESPAGNE.
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mets qui la protègent comme un rempart, et qui, répandant sur elle
des eaux abondantes, lui donnent une merveilleuse fécondité. Dans le
périmètre de la Véga se trouvent Santa-Fé, camp devenu ville, et de
ville pauvre village; Loja, cité mauresque bâtie au bord du Jénil,
forte d'assiette, cernée de rochers comme toutes les villes d'origine arabe,
mais entourée d'un territoire fertile; la Soto de Roma, ancien domaine
des rois de Grenade, aujourd'hui propriété de sir Wellesley, duc de Wel-
lington; l'ancienne llliberis, encore debout dans l'année 307, puisqu'il
s'y tint un célèbre concile; Zubia, d'où la hère Isabelle aimait à con-
templer sa conquête; la Casbah de San-Sébastian, où les vainqueurs
firent une conduite triomphale à Boabdil; El ultime suspiro del Moro
(le dernier soupir du Maure), mamelon ainsi nommé de ce que le khalif
vaincu, s'étant tourné, dit-on, une dernière fois vers sa capitale, sur les
tours de laquelle flottait l'étendard de Santiago, il ne put retenir ses
larmes : « Tu fais bien de pleurer comme une femme, lui dit alors sa
mère, ce que tu n'as pas su défendre comme un homme. »
Au géologue, au botaniste, au touriste même, nous conseillons cer-
taines excursions fort intéressantes dans la Sierra-Nevada; ils ne de-
vront négliger, ni les carrières de serpentine verte du Picacho de la
Veleta, ni le défilé de Barranco-San-Juan, ni les Piedras de San-Fran-
cisco; et si le voyageur ne craint pas les flaques neigeuses, s'il croit
pouvoir lutter impunément contre l'air raréfié, contre le froid vif et la
fatigue d'une ascension pénible, à travers les sentiers imperceptibles
des neveros, marchands qui vont chercher la neige pour abreuver
Grenade, il devra gagner le pic de Mulhacen , Picacho de Mulahacen.
A mesure que l'on monte cette échelle en zigzags, la Véga, les crêtes
intermédiaires, l'Andalousie se déploient, comme l'exprime très-bien
M. Théophile Gautier, sous l'aspect d'une mer azurée, où quelques
points blancs, frappés par le soleil, prennent l'apparence de voiles sil-
lonnant les flots; où des teintes variables, tantôt gris-perle, tantôt cen-
drées, violacées, jaunâtres, tour à tour étincelantes et ternes, coupent de
lignes zébrées la perspective, tandis que des blocs énormes, des entasse-
ments pharaoniens, réveillent l'idée d'une race de géants disparus; tant
la vieillesse de l'univers est lisiblement écrite en rides profondes sur le
front chenu, sur la face rechignée de ces montagnes millénaires.
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mets qui la protègent comme un rempart, et qui, répandant sur elle
des eaux abondantes, lui donnent une merveilleuse fécondité. Dans le
périmètre de la Véga se trouvent Santa-Fé, camp devenu ville, et de
ville pauvre village; Loja, cité mauresque bâtie au bord du Jénil,
forte d'assiette, cernée de rochers comme toutes les villes d'origine arabe,
mais entourée d'un territoire fertile; la Soto de Roma, ancien domaine
des rois de Grenade, aujourd'hui propriété de sir Wellesley, duc de Wel-
lington; l'ancienne llliberis, encore debout dans l'année 307, puisqu'il
s'y tint un célèbre concile; Zubia, d'où la hère Isabelle aimait à con-
templer sa conquête; la Casbah de San-Sébastian, où les vainqueurs
firent une conduite triomphale à Boabdil; El ultime suspiro del Moro
(le dernier soupir du Maure), mamelon ainsi nommé de ce que le khalif
vaincu, s'étant tourné, dit-on, une dernière fois vers sa capitale, sur les
tours de laquelle flottait l'étendard de Santiago, il ne put retenir ses
larmes : « Tu fais bien de pleurer comme une femme, lui dit alors sa
mère, ce que tu n'as pas su défendre comme un homme. »
Au géologue, au botaniste, au touriste même, nous conseillons cer-
taines excursions fort intéressantes dans la Sierra-Nevada; ils ne de-
vront négliger, ni les carrières de serpentine verte du Picacho de la
Veleta, ni le défilé de Barranco-San-Juan, ni les Piedras de San-Fran-
cisco; et si le voyageur ne craint pas les flaques neigeuses, s'il croit
pouvoir lutter impunément contre l'air raréfié, contre le froid vif et la
fatigue d'une ascension pénible, à travers les sentiers imperceptibles
des neveros, marchands qui vont chercher la neige pour abreuver
Grenade, il devra gagner le pic de Mulhacen , Picacho de Mulahacen.
A mesure que l'on monte cette échelle en zigzags, la Véga, les crêtes
intermédiaires, l'Andalousie se déploient, comme l'exprime très-bien
M. Théophile Gautier, sous l'aspect d'une mer azurée, où quelques
points blancs, frappés par le soleil, prennent l'apparence de voiles sil-
lonnant les flots; où des teintes variables, tantôt gris-perle, tantôt cen-
drées, violacées, jaunâtres, tour à tour étincelantes et ternes, coupent de
lignes zébrées la perspective, tandis que des blocs énormes, des entasse-
ments pharaoniens, réveillent l'idée d'une race de géants disparus; tant
la vieillesse de l'univers est lisiblement écrite en rides profondes sur le
front chenu, sur la face rechignée de ces montagnes millénaires.