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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Nous insistons sur la comparaison de ces deux dernières croix, parce
qu'appartenant à deux siècles différents, elles nous semblent mieux
montrer les évolutions qui se sont produites dans l'orfèvrerie, tandis que
l'architecture se transformant passait du plein cintre à l'ogive. Sans être
complètement abandonné, le filigrane disparaît peu à peu, et les feuil-
lages, surtout ceux à divisions aiguës, comme le lierre et l'érable, rem-
placent les pierres cabochons de l'époque romane. Le nielle, dont l'effet
est triste, n'y sert plus qu'à faire des oppositions d'effets sombres avec
les effets brillants de la dorure. Enfin la statuaire, qui se développe avec
tant d'abondance dans l'ornementation des édifices, intervient pour une
plus large part dans l'orfèvrerie. Notons cependant que celle-ci est tou-
jours en retard sur l'architecture, par suite certainement de l'organisation
de l'industrie qui retenait plus les artisans attachés à la tradition qu'elle
ne les poussait vers les innovations.
Le reliquaire de la sainte Epine, qui est passé de l'ancienne abbaye
du Verger, près d'Oisy, dans la communauté des dames Augustines d'Ar-
ras, est un des plus charmants spécimens de l'orfèvrerie feuillagée de la
fin du xme siècle. Son pied circulaire, orné de longues feuilles tombantes
à profondes divisions aiguës, accompagnées de fleurs et de fruits, a servi
de modèle à l'orfèvrerie religieuse moderne pour l'exécution de nombreux
pieds de calice, grâce à l'excellente gravure que L. Gaucherel a publiée
d'après Lassus de ce reliquaire dans le tome IX des Annales archéolo-
giques. Le reliquaire en lui-même, d'une composition quelque peu con-
fuse, se compose d'écus de cristal de roche, au-dessous d'un petit
cylindre de même matière, combinés avec des frettes ornées de pierres
cabochon, avec des frises de feuillages, et un riche assortissement.
Un petit reliquaire phylactère en forme de sceau ogival, flanqué d'ap-
pendices tréflées à l'extrémité de chacun de ses deux diamètres, et qui
tient enchâssée une dent de saint Nicolas (7 dens s. nicholai), molaire
d'une certaine fraîcheur, appartient à une église d'Arras placée sous
le vocable de ce saint. Le filigrane s'y combine avec la gravure et le
repoussé, et donne à cette pièce une physionomie qui la rapproche plus
du xiie siècle que du xme.
La même église avait encore envoyé un bras-reliquaire annoncé
comme contenant une autre relique de son patron, bien que l'inscrip-
tion gravée en belles lettres onciales sur une des plaques à quatre lobes
qui le décorent n'en fassent point mention. On y lit, en effet, que cette
représentation d'un bras surmonté d'une main bénissante renferme :
« De le coulombe u diex fu Joies (de la colonne où Dieu fut lié) : dou brac
SS. Lorenc : de le piere sour coi li sans Jhu Grist kei (de la pierre sur
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Nous insistons sur la comparaison de ces deux dernières croix, parce
qu'appartenant à deux siècles différents, elles nous semblent mieux
montrer les évolutions qui se sont produites dans l'orfèvrerie, tandis que
l'architecture se transformant passait du plein cintre à l'ogive. Sans être
complètement abandonné, le filigrane disparaît peu à peu, et les feuil-
lages, surtout ceux à divisions aiguës, comme le lierre et l'érable, rem-
placent les pierres cabochons de l'époque romane. Le nielle, dont l'effet
est triste, n'y sert plus qu'à faire des oppositions d'effets sombres avec
les effets brillants de la dorure. Enfin la statuaire, qui se développe avec
tant d'abondance dans l'ornementation des édifices, intervient pour une
plus large part dans l'orfèvrerie. Notons cependant que celle-ci est tou-
jours en retard sur l'architecture, par suite certainement de l'organisation
de l'industrie qui retenait plus les artisans attachés à la tradition qu'elle
ne les poussait vers les innovations.
Le reliquaire de la sainte Epine, qui est passé de l'ancienne abbaye
du Verger, près d'Oisy, dans la communauté des dames Augustines d'Ar-
ras, est un des plus charmants spécimens de l'orfèvrerie feuillagée de la
fin du xme siècle. Son pied circulaire, orné de longues feuilles tombantes
à profondes divisions aiguës, accompagnées de fleurs et de fruits, a servi
de modèle à l'orfèvrerie religieuse moderne pour l'exécution de nombreux
pieds de calice, grâce à l'excellente gravure que L. Gaucherel a publiée
d'après Lassus de ce reliquaire dans le tome IX des Annales archéolo-
giques. Le reliquaire en lui-même, d'une composition quelque peu con-
fuse, se compose d'écus de cristal de roche, au-dessous d'un petit
cylindre de même matière, combinés avec des frettes ornées de pierres
cabochon, avec des frises de feuillages, et un riche assortissement.
Un petit reliquaire phylactère en forme de sceau ogival, flanqué d'ap-
pendices tréflées à l'extrémité de chacun de ses deux diamètres, et qui
tient enchâssée une dent de saint Nicolas (7 dens s. nicholai), molaire
d'une certaine fraîcheur, appartient à une église d'Arras placée sous
le vocable de ce saint. Le filigrane s'y combine avec la gravure et le
repoussé, et donne à cette pièce une physionomie qui la rapproche plus
du xiie siècle que du xme.
La même église avait encore envoyé un bras-reliquaire annoncé
comme contenant une autre relique de son patron, bien que l'inscrip-
tion gravée en belles lettres onciales sur une des plaques à quatre lobes
qui le décorent n'en fassent point mention. On y lit, en effet, que cette
représentation d'un bras surmonté d'une main bénissante renferme :
« De le coulombe u diex fu Joies (de la colonne où Dieu fut lié) : dou brac
SS. Lorenc : de le piere sour coi li sans Jhu Grist kei (de la pierre sur