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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
à l'Italie, il n'est pas moins certain que le Castiglione accuse ses contem-
porains de singer notre costume et nos allures, « persuadés qu'ils doivent
être pris pour de véritables Français et qu'ils en ont l'aisance, mais la
vérité est qu'ils y réussissent rarement » V.
Si je ne me trompe, ces courants variables et passagers, ces menus
emprunts de pays à pays sont l'incident journalier de l'histoire et n'ont
pas tant d'importance. Mais à force de regarder le passé à la loupe,
l'archéologie microscopique finit par grossir démesurément les infini-
ment petits; le moindre fait divers prend les proportions d'un événe-
ment considérable, plein de révélations inattendues. Par exemple, on a
remarqué que les sayons de Charles VIII et de sa cour datent de la con-
quête de Naples; on en conclut qu'à la fin du xve siècle les modes fran-
çaises sont calquées sur celles d'Italie, et, comme l'art et la mode passent
pour marcher de compagnie, tout naturellement la France devait peindre,
sculpter et bâtir comme elle s'habillait. Ce procédé d'optique promet des
découvertes piquantes aux archéologues de l'avenir. Aujourd'hui .que
nos costumes, nos jardins, nos courses, nos gentlemen et beaucoup
d'autres choses sont à l'anglaise, on ne manquera pas un jour d'affirmer
l'influence de l'Angleterre sur l'art français du xixe siècle.
Et puis les textes... — Dieu me garde d'en médire, je leur dois trop
de reconnaissance; — mais encore faut-il qu'ils soient éclairés, contrôlés
par les monuments mêmes. Or montrez-nous la griffe italienne sur les
premiers produits cle la Renaissance. Le séjour du Solario à Amboise et
son portrait du maréchal ont-ils modifié le faire si personnel de nos por-
traitistes contemporains? Trouvez-vous chez eux, même chez François
Clouet qui leur est postérieur, la moindre parcelle italienne? Au con-
traire, le courant vient du nord; nos peintres ont voyagé dans les
Flandres et sont revenus en France par la Bourgogne, mais aucun n'a
passé les monts. Nos sculpteurs ont-ils pris davantage les allures ita-
liennes? Je sais bien que Michel Columb est suspect; on a découvert
clans ses comptes de dépenses deux ouvriers florentins ou milanais,
preuve évidente, parait-il, que le maître lui-même sacrifiait aux dieux
étrangers; j'ignorais que les praticiens italiens fussent aussi compromet-
tants, et nos sculpteurs, qui les occupent encore tous les jours, feront
bien de se tenir sur leurs gardes. Mais comparez le Saint-George du
Louvre avec son voisin le Louis XII, exécuté la même année à Milan;
l'un est aussi français que l'autre est italien. Les deux statues de Louis
de Poncher et de Roberte Legendre, malgré leur date avancée, le buste
1. Cortegiano, I, 459.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
à l'Italie, il n'est pas moins certain que le Castiglione accuse ses contem-
porains de singer notre costume et nos allures, « persuadés qu'ils doivent
être pris pour de véritables Français et qu'ils en ont l'aisance, mais la
vérité est qu'ils y réussissent rarement » V.
Si je ne me trompe, ces courants variables et passagers, ces menus
emprunts de pays à pays sont l'incident journalier de l'histoire et n'ont
pas tant d'importance. Mais à force de regarder le passé à la loupe,
l'archéologie microscopique finit par grossir démesurément les infini-
ment petits; le moindre fait divers prend les proportions d'un événe-
ment considérable, plein de révélations inattendues. Par exemple, on a
remarqué que les sayons de Charles VIII et de sa cour datent de la con-
quête de Naples; on en conclut qu'à la fin du xve siècle les modes fran-
çaises sont calquées sur celles d'Italie, et, comme l'art et la mode passent
pour marcher de compagnie, tout naturellement la France devait peindre,
sculpter et bâtir comme elle s'habillait. Ce procédé d'optique promet des
découvertes piquantes aux archéologues de l'avenir. Aujourd'hui .que
nos costumes, nos jardins, nos courses, nos gentlemen et beaucoup
d'autres choses sont à l'anglaise, on ne manquera pas un jour d'affirmer
l'influence de l'Angleterre sur l'art français du xixe siècle.
Et puis les textes... — Dieu me garde d'en médire, je leur dois trop
de reconnaissance; — mais encore faut-il qu'ils soient éclairés, contrôlés
par les monuments mêmes. Or montrez-nous la griffe italienne sur les
premiers produits cle la Renaissance. Le séjour du Solario à Amboise et
son portrait du maréchal ont-ils modifié le faire si personnel de nos por-
traitistes contemporains? Trouvez-vous chez eux, même chez François
Clouet qui leur est postérieur, la moindre parcelle italienne? Au con-
traire, le courant vient du nord; nos peintres ont voyagé dans les
Flandres et sont revenus en France par la Bourgogne, mais aucun n'a
passé les monts. Nos sculpteurs ont-ils pris davantage les allures ita-
liennes? Je sais bien que Michel Columb est suspect; on a découvert
clans ses comptes de dépenses deux ouvriers florentins ou milanais,
preuve évidente, parait-il, que le maître lui-même sacrifiait aux dieux
étrangers; j'ignorais que les praticiens italiens fussent aussi compromet-
tants, et nos sculpteurs, qui les occupent encore tous les jours, feront
bien de se tenir sur leurs gardes. Mais comparez le Saint-George du
Louvre avec son voisin le Louis XII, exécuté la même année à Milan;
l'un est aussi français que l'autre est italien. Les deux statues de Louis
de Poncher et de Roberte Legendre, malgré leur date avancée, le buste
1. Cortegiano, I, 459.