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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
ment! » Naturellement le dessinateur conforme le type physique au type moral. Il ne
les fait pas fins, mais robustes et rudes. De plus, il exagère à plaisir leur bravoure
naturelle. Deux bambins sur un âne veulent franchir un fossé devant lequel un mon-
sieur à cheval hésite. Un gamin de cinq ans, les mains dans les poches, dit à son oncle,
grand gaillard bien emmitouflé qui va sortir et songe aux rôdeurs nocturnes : « Dites
donc, oncle Charles, si vous ne vous sentez pas à votre aise pour vous en retourner
seul, eh bien, je vous ferai la conduite jusque chez vous. » — Défalquez de la carica-
ture la saillie voulue et trop forte, il reste la chose elle-même, du moins la chose telle
que les Anglais la voient ou veulent la voir. Sur cette donnée, avec les rectifications
et les confirmations convenables, on peut voir la chose telle qu'elle est.
Que de jolis motifs encore dans cette collection du Punch! —Vieux
gentilshommes gourmés, guindés, raides et d'une politesse du plus grand
air; — adolescents importants, suffisants, le stick aux lèvres; —bonnes
grosses vieilles dames toutes souriantes; —aimables femmes surprises
en de familières et charmantes attitudes, celle-ci par exemple : assise
devant le foyer bondé de coke incandescent, elle relève légèrement le bas
de sa robe et appuie sur le garde-feu la pointe de son petit pied qui dépasse
à peine le bord de son jupon brodé; — jeunes filles au bord des plages,
le corps tendu contre la brise qui chasse derrière elles leurs longs cheveux
flottants et leurs vêtements; — amazones intrépides ; — enfants vaillants,
riants, de belle humeur.
Dans ses illustrations de romans, John Leech ne paraît point prendre
son texte au sérieux. Aux scènes les plus tragiques, duels, enlèvements,
assassinats, captations de testaments, spectres, apparitions, arrestations,
noyades dans les souterrains noirs subitement inondés, exécutions, il
mêle toujours un élément comique; il amplifie l'expression dramatique
de telle sorte qu'il n'y a pas à s'y méprendre : cela n'est pas arrivé.
Dans le nombre, il y a cependant des scènes fantastiques d'un effet
puissant : le Fond de la mer, l'Aile de lest, où il montre les effroyables
surprises de la mort.
Mais ce sont là des échappées dont il revient vite pour rentrer dans
son vrai domaine, la douce satire des mœurs.
La grâce des lignes dans les figures de jeunes filles et de jeunes
garçons, la vigueur expressive du trait clans les figures d'hommes et de
femmes, la délicieuse beauté des enfants, la sincérité de l'observation,
la vie de l'ensemble, l'esprit du détail, la clarté du sujet par la décision
du geste; il n'en faut pas tant pour expliquer la vogue immense qui
s'attacha au crayon de Leech pendant vingt-trois ans. Il était si char-
mant, ce crayon : original, spontané, naturel, « génial », et si honnête
dans sa gaieté n'effleurant même pas le vice. Ses jeunes dames, j'y insiste,
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
ment! » Naturellement le dessinateur conforme le type physique au type moral. Il ne
les fait pas fins, mais robustes et rudes. De plus, il exagère à plaisir leur bravoure
naturelle. Deux bambins sur un âne veulent franchir un fossé devant lequel un mon-
sieur à cheval hésite. Un gamin de cinq ans, les mains dans les poches, dit à son oncle,
grand gaillard bien emmitouflé qui va sortir et songe aux rôdeurs nocturnes : « Dites
donc, oncle Charles, si vous ne vous sentez pas à votre aise pour vous en retourner
seul, eh bien, je vous ferai la conduite jusque chez vous. » — Défalquez de la carica-
ture la saillie voulue et trop forte, il reste la chose elle-même, du moins la chose telle
que les Anglais la voient ou veulent la voir. Sur cette donnée, avec les rectifications
et les confirmations convenables, on peut voir la chose telle qu'elle est.
Que de jolis motifs encore dans cette collection du Punch! —Vieux
gentilshommes gourmés, guindés, raides et d'une politesse du plus grand
air; — adolescents importants, suffisants, le stick aux lèvres; —bonnes
grosses vieilles dames toutes souriantes; —aimables femmes surprises
en de familières et charmantes attitudes, celle-ci par exemple : assise
devant le foyer bondé de coke incandescent, elle relève légèrement le bas
de sa robe et appuie sur le garde-feu la pointe de son petit pied qui dépasse
à peine le bord de son jupon brodé; — jeunes filles au bord des plages,
le corps tendu contre la brise qui chasse derrière elles leurs longs cheveux
flottants et leurs vêtements; — amazones intrépides ; — enfants vaillants,
riants, de belle humeur.
Dans ses illustrations de romans, John Leech ne paraît point prendre
son texte au sérieux. Aux scènes les plus tragiques, duels, enlèvements,
assassinats, captations de testaments, spectres, apparitions, arrestations,
noyades dans les souterrains noirs subitement inondés, exécutions, il
mêle toujours un élément comique; il amplifie l'expression dramatique
de telle sorte qu'il n'y a pas à s'y méprendre : cela n'est pas arrivé.
Dans le nombre, il y a cependant des scènes fantastiques d'un effet
puissant : le Fond de la mer, l'Aile de lest, où il montre les effroyables
surprises de la mort.
Mais ce sont là des échappées dont il revient vite pour rentrer dans
son vrai domaine, la douce satire des mœurs.
La grâce des lignes dans les figures de jeunes filles et de jeunes
garçons, la vigueur expressive du trait clans les figures d'hommes et de
femmes, la délicieuse beauté des enfants, la sincérité de l'observation,
la vie de l'ensemble, l'esprit du détail, la clarté du sujet par la décision
du geste; il n'en faut pas tant pour expliquer la vogue immense qui
s'attacha au crayon de Leech pendant vingt-trois ans. Il était si char-
mant, ce crayon : original, spontané, naturel, « génial », et si honnête
dans sa gaieté n'effleurant même pas le vice. Ses jeunes dames, j'y insiste,