60
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
stitue les assemblages d’onglet aux assemblages carrés, les ferrures dis-
simulées aux ferrures apparentes. Le sculpteur détrône le menuisier et
s’empare du meuble. Les ateliers de l’Ile-de-France, du centre et du midi
remplacent le chêne par le noyer, dont le grain plus fin se prête mieux
aux délicatesses de l’outil. Les échantillons de luxe sont rehaussés de
peintures et d’or. C’est l’àge du noyer.
L’âge de Y ébène et des ébénistes commence avec Henri IV et Louis XIII,
amenant une révolution nouvelle. Le mérite de l’ouvrage ne consistera
plus dans les hauts-reliefs, dans la variété des plans et le jeu des ombres,
mais dans la couleur et la rareté de la matière. Dès lors on abandonne
les panneaux d’assemblage et la sculpture, pour revenir aux surfaces
planes qui permettent le placage en feuilles minces, ménagent les bois
de prix et font valoir leur coloration. Pendant la première moitié du
siècle, nos artistes avaient rapporté d’Italie les architectures compliquées,
l’abus des colonnes torses, la lourdeur et le mauvais goût de la déca-
dence; l’École des Gobelins, sous la direction de Lebrun, donne le dernier
coup à l’influence italienne, ramène les traditions nationales et impose
le goût français à l’Europe entière. Boulle invente l’ébénisterie semi-
métallique, en incrustant le cuivre, l’étain et l’écaille sur les fonds
d’ébène rehaussés de bronzes dorés ; Ballin fabrique des consoles, des
tables, des sièges en argent repoussé et ciselé ; les bois sculptés sont
dorés au mat et au bruni. L’ébénisterie, l’orfèvrerie, la ciselure, la dorure
et la mosaïque concourent à la décoration de ce mobilier d’une splendeur
incomparable.
Le xvnie siècle continue l’emploi du placage, mais en abandonnant
les incrustations de métal pour les incrustations de porcelaine, l’ébène
pour les bois colorés; c’est l’apogée de la marqueterie, l’âge des bois cle
couleur. Tout d’abord, la Bégence tempère ce que l’ancien régime avait
de trop collet-monté : les nouvelles formes sont plus souples, plus ondu-
leuses, plus familières. Mais une fois entrés dans cette voie, les ébé-
nistes de Louis XY s’y jettent à corps perdu. Adieu l’architecture, les
ordres, les lignes géométriques et la symétrie; « rien de droit, de régu-
lier, dit M. Jacquemart. Les angles s’arrondissent ou se creusent, des
sinuosités inattendues sillonnent les surfaces; les choses ventrues, con-
tournées, tarabiscotées, sont seules admises, et là-dessus croissent et se
développent des végétations de bronze, à chicorées impossibles. Le cuivre
doré d’or moulu rampe en bordures capricieuses, surgit tout à coup en
poignées imprévues, se contourne en encoignures, forme des guirlandes
détachées; ainsi se complète un tout bizarre, toujours spirituel et parfois
élégant à force de singularité. »
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
stitue les assemblages d’onglet aux assemblages carrés, les ferrures dis-
simulées aux ferrures apparentes. Le sculpteur détrône le menuisier et
s’empare du meuble. Les ateliers de l’Ile-de-France, du centre et du midi
remplacent le chêne par le noyer, dont le grain plus fin se prête mieux
aux délicatesses de l’outil. Les échantillons de luxe sont rehaussés de
peintures et d’or. C’est l’àge du noyer.
L’âge de Y ébène et des ébénistes commence avec Henri IV et Louis XIII,
amenant une révolution nouvelle. Le mérite de l’ouvrage ne consistera
plus dans les hauts-reliefs, dans la variété des plans et le jeu des ombres,
mais dans la couleur et la rareté de la matière. Dès lors on abandonne
les panneaux d’assemblage et la sculpture, pour revenir aux surfaces
planes qui permettent le placage en feuilles minces, ménagent les bois
de prix et font valoir leur coloration. Pendant la première moitié du
siècle, nos artistes avaient rapporté d’Italie les architectures compliquées,
l’abus des colonnes torses, la lourdeur et le mauvais goût de la déca-
dence; l’École des Gobelins, sous la direction de Lebrun, donne le dernier
coup à l’influence italienne, ramène les traditions nationales et impose
le goût français à l’Europe entière. Boulle invente l’ébénisterie semi-
métallique, en incrustant le cuivre, l’étain et l’écaille sur les fonds
d’ébène rehaussés de bronzes dorés ; Ballin fabrique des consoles, des
tables, des sièges en argent repoussé et ciselé ; les bois sculptés sont
dorés au mat et au bruni. L’ébénisterie, l’orfèvrerie, la ciselure, la dorure
et la mosaïque concourent à la décoration de ce mobilier d’une splendeur
incomparable.
Le xvnie siècle continue l’emploi du placage, mais en abandonnant
les incrustations de métal pour les incrustations de porcelaine, l’ébène
pour les bois colorés; c’est l’apogée de la marqueterie, l’âge des bois cle
couleur. Tout d’abord, la Bégence tempère ce que l’ancien régime avait
de trop collet-monté : les nouvelles formes sont plus souples, plus ondu-
leuses, plus familières. Mais une fois entrés dans cette voie, les ébé-
nistes de Louis XY s’y jettent à corps perdu. Adieu l’architecture, les
ordres, les lignes géométriques et la symétrie; « rien de droit, de régu-
lier, dit M. Jacquemart. Les angles s’arrondissent ou se creusent, des
sinuosités inattendues sillonnent les surfaces; les choses ventrues, con-
tournées, tarabiscotées, sont seules admises, et là-dessus croissent et se
développent des végétations de bronze, à chicorées impossibles. Le cuivre
doré d’or moulu rampe en bordures capricieuses, surgit tout à coup en
poignées imprévues, se contourne en encoignures, forme des guirlandes
détachées; ainsi se complète un tout bizarre, toujours spirituel et parfois
élégant à force de singularité. »