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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
fort belles du maître', datées de 1658, et annonçant un talent en pleine maturité pour
qu’on renonçât à cette date de fantaisie. Vers le même temps, une note publiée par
un journal artistique hollandais, le Nederlandsch kmstspiegel, et recueillie par
M. G. Kramm, le continuateur d’Immerzeel, vint annoncer au monde savant que :
« Pieter de Hooghe était vraisemblablement né en 1628 ». Sur quel témoignage, sur
quel document s’appuyait cette présomption? Personne ne le sut alors et je n’ai pu
le découvrir depuis. C’était sans doute pour parler, comme Mme de Staël, des
«commérages de docte compagnie », néanmoins cette date fut acceptée avec enthou-
siasme par M. Waagen et par notre collaborateur Biirger.
M. Waagen, critique un peu surfait, mais très - ingénieux peut-être, était
possédé, comme un bon Allemand doit l’être, de la furie des systèmes. Pour lui,
toute peinture hollandaise, du moment où elle était ensoleillée et empâtée, avait été
inspirée par Rembrandt et celui qui la revendiquait devait avoir fréquenté l’atelier
du maître. Or la date de 1653 ne permettait point cette supposition, c’est pourquoi
1628 fut salué avec respect, et notre ami Biirger, qui, dans sa fréquentation des Alle-
mands, avait contracté les mêmes préoccupations, s’écriait avec une naïve conviction
dont il faut lui tenir compte : « Si, en effet, Pieter est né vers 1628, rien ne s’oppose
plus à ce qu’il ait travaillé chez Rembrandt, et ce dut être à peu près en même temps
que Nicolas Maes, autour de 1650. »
C’était, on le voit, aller un peu vite en besogne. J’admets volontiers que les
tableaux de Pieter de Hooch sentent bien plus les inspirations, les conseils, les ensei-
gnements, ou tout au moins les influences de Rembrandt que ceux de Berchem, dont
Descamps et beaucoup d’autres à la suite ont fort sottement fait son maître. Mais il
pouvait bien se faire qu’il ne fût disciple ni de l’un ni de l’autre. Nous savons assez
que les peintres ne se conforment que très-rarement aux traditions des ateliers des-
quels ils sortent. C’est ce que comprirent fort bien et M. Ch. Blanc qui, dans son His-
toire des peintres, demeura sur une prudente réserve, et M. Dubourcq qui, dans son
Catalogue du Musée d’Amsterdam, se déchargea sur Biirger de toute responsabilité.
Tous deux avaient raison.
Pour avoir été disciple de Rembrandt, il aurait fallu que Pieter de Hooch étudiât
à Amsterdam. Or, depuis plus de quatre ans, j’ai acquis la certitude qu’il avait fait
son apprentissage à Delft, à cette vaillante école où Johannes Vermeer avait lui aussi
puisé sa verve rembranesque. Au mois de février 1873, en effet, en dépouillant un
manuscrit de la bibliothèque royale de La Haye, le Meestersboek de la Sint-Lucas-
gilde de Delft, j’avais trouvé la mention suivante qui ne laissait plus aucun doute :
— « Schilder, den 20 september 1655 heeft hem als meester doen aenteyckenen
Pieter de Hooch, synde vreemt heeft op het recht betaelt 3 gui.— Den 1 january 1656
noch 3 gui. Rest noch 6 gui. rest noch 2.17.0. Alsoo 1657 3 gui. betaelt heeft en
3 stuivers. »
Pour plus de clarté, je traduis :
— « Peintre, le 20 septembre 1655, est inscrit comme maître Pieter de Hooch,
étant étranger, sur le droit1, il a payé 3 florins. —Le 1er janvier 1656, encore 3 flo-
rins. Reste encore 6 florins; reste encore 2 fl. 17 sols 0 deniers. Enfin, en 1657; il a
payé 3 florins et 3 sous. »
1. Le droit J entrée dans la Gilde. Ce droit variait suivant la qualité du récipiendaire. Pour les étran-
gers, il était de 12 florins, de 6 pour les bourgeois ou fils de bourgeois, de 3 pour les fils de maître.
Dans le libellé du compte, il y a certainement une erreur; la quatrième somme indique bien certaine-
ment un versemtnt et non pas un reliquat.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
fort belles du maître', datées de 1658, et annonçant un talent en pleine maturité pour
qu’on renonçât à cette date de fantaisie. Vers le même temps, une note publiée par
un journal artistique hollandais, le Nederlandsch kmstspiegel, et recueillie par
M. G. Kramm, le continuateur d’Immerzeel, vint annoncer au monde savant que :
« Pieter de Hooghe était vraisemblablement né en 1628 ». Sur quel témoignage, sur
quel document s’appuyait cette présomption? Personne ne le sut alors et je n’ai pu
le découvrir depuis. C’était sans doute pour parler, comme Mme de Staël, des
«commérages de docte compagnie », néanmoins cette date fut acceptée avec enthou-
siasme par M. Waagen et par notre collaborateur Biirger.
M. Waagen, critique un peu surfait, mais très - ingénieux peut-être, était
possédé, comme un bon Allemand doit l’être, de la furie des systèmes. Pour lui,
toute peinture hollandaise, du moment où elle était ensoleillée et empâtée, avait été
inspirée par Rembrandt et celui qui la revendiquait devait avoir fréquenté l’atelier
du maître. Or la date de 1653 ne permettait point cette supposition, c’est pourquoi
1628 fut salué avec respect, et notre ami Biirger, qui, dans sa fréquentation des Alle-
mands, avait contracté les mêmes préoccupations, s’écriait avec une naïve conviction
dont il faut lui tenir compte : « Si, en effet, Pieter est né vers 1628, rien ne s’oppose
plus à ce qu’il ait travaillé chez Rembrandt, et ce dut être à peu près en même temps
que Nicolas Maes, autour de 1650. »
C’était, on le voit, aller un peu vite en besogne. J’admets volontiers que les
tableaux de Pieter de Hooch sentent bien plus les inspirations, les conseils, les ensei-
gnements, ou tout au moins les influences de Rembrandt que ceux de Berchem, dont
Descamps et beaucoup d’autres à la suite ont fort sottement fait son maître. Mais il
pouvait bien se faire qu’il ne fût disciple ni de l’un ni de l’autre. Nous savons assez
que les peintres ne se conforment que très-rarement aux traditions des ateliers des-
quels ils sortent. C’est ce que comprirent fort bien et M. Ch. Blanc qui, dans son His-
toire des peintres, demeura sur une prudente réserve, et M. Dubourcq qui, dans son
Catalogue du Musée d’Amsterdam, se déchargea sur Biirger de toute responsabilité.
Tous deux avaient raison.
Pour avoir été disciple de Rembrandt, il aurait fallu que Pieter de Hooch étudiât
à Amsterdam. Or, depuis plus de quatre ans, j’ai acquis la certitude qu’il avait fait
son apprentissage à Delft, à cette vaillante école où Johannes Vermeer avait lui aussi
puisé sa verve rembranesque. Au mois de février 1873, en effet, en dépouillant un
manuscrit de la bibliothèque royale de La Haye, le Meestersboek de la Sint-Lucas-
gilde de Delft, j’avais trouvé la mention suivante qui ne laissait plus aucun doute :
— « Schilder, den 20 september 1655 heeft hem als meester doen aenteyckenen
Pieter de Hooch, synde vreemt heeft op het recht betaelt 3 gui.— Den 1 january 1656
noch 3 gui. Rest noch 6 gui. rest noch 2.17.0. Alsoo 1657 3 gui. betaelt heeft en
3 stuivers. »
Pour plus de clarté, je traduis :
— « Peintre, le 20 septembre 1655, est inscrit comme maître Pieter de Hooch,
étant étranger, sur le droit1, il a payé 3 florins. —Le 1er janvier 1656, encore 3 flo-
rins. Reste encore 6 florins; reste encore 2 fl. 17 sols 0 deniers. Enfin, en 1657; il a
payé 3 florins et 3 sous. »
1. Le droit J entrée dans la Gilde. Ce droit variait suivant la qualité du récipiendaire. Pour les étran-
gers, il était de 12 florins, de 6 pour les bourgeois ou fils de bourgeois, de 3 pour les fils de maître.
Dans le libellé du compte, il y a certainement une erreur; la quatrième somme indique bien certaine-
ment un versemtnt et non pas un reliquat.