A PROPOS D’UN PASSAGE DE PLUTARQUE.
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tant bons que mauvais, et ils oublient de comprendre la Poésie dans
leur nombre des arts libéraux, aussi bien que la Peinture, la Sculpture
et l’Architecture qui constamment en sont les plus belles parties. »
Et comme la définition est heureusement trouvée ! Est-ce que la Musique,
la Géométrie, etc. « ne peuvent pas être sçeues et pratiquées par des gens
de condition servile? L’Astronome, le Géomètre, le Musicien ne se
servent-ils pas de machines et d’engins qui, par excellence, sont
nommés instruments, aussi bien que le Peintre et le Sculpteur? Voilà
par où on peut juger ce qu’on doit attendre des autres articles du Dic-
tionnaire, où ces messieurs parleront de choses qu’à la rigueur ils ne
sont pas obligés de savoir. »
Furetière avait raison et l’Académie finit par le comprendre : les
éditions suivantes du Dictionnaire ne comprennent plus le malencontreux
paragraphe.
En province, où l’esprit de caste a plus de racines, l’opposition devait
être plus tenace. Le monde avait de la peine à saluer ces parvenus qu’il
traitait la veille d’artisans et d’ouvriers mécaniques1. Aux yeux des éche-
vins marseillais, le Puget passe encore pour « un ouvrier visionnaire,
bon à mettre aux petites-maisons1 2 », et la vieille noblesse estime que
« manier le pinceau est contre la coutume de France qui ne veut pas
qu’un gentilhomme sache rien faire3 ».
Us feront plus d’accueil au moindre procureur
Qu’au plus grand artisan qu’ils mettent dans la fange;
On n’ose devant eux parler de Michel-Ange.
Quand même Phidias serait encore icy,
L’homme que tu connois le traiteroit ainsy4,
Toutefois ces préventions allaient s’affaiblissant de jour en jour ; le
xvme siècle leur porta le dernier coup en popularisant les Académies
provinciales. Les artistes de province avaient eu le bon esprit d’imiter
les Parisiens et d’associer à leurs compagnies des amateurs choisis parmi
les curieux les plus autorisés et les plus considérables de la ville. Sur
ce terrain commun, le Peintre et le Sculpteur se rencontraient avec leurs
confrères de la noblesse, du clergé, de la haute bourgeoisie. Dès lors
1. Inventaire des deus langues françois et latin, par Phil. Monet, 4 635 : Arts
liberaus, arts propres de personnes de franche ou de noble condition. — Dict. de
Richelet, 1680 ; il n’y a que sept arts libéraux, etc.
2. Lettre de Villeneuve, Arc,h. de l’art français, VI, 89.
D. Molière, le Sicilien ou l’Amour peintre.
4. Les Satyres de M. du Lorens, 1646, p. 163.
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tant bons que mauvais, et ils oublient de comprendre la Poésie dans
leur nombre des arts libéraux, aussi bien que la Peinture, la Sculpture
et l’Architecture qui constamment en sont les plus belles parties. »
Et comme la définition est heureusement trouvée ! Est-ce que la Musique,
la Géométrie, etc. « ne peuvent pas être sçeues et pratiquées par des gens
de condition servile? L’Astronome, le Géomètre, le Musicien ne se
servent-ils pas de machines et d’engins qui, par excellence, sont
nommés instruments, aussi bien que le Peintre et le Sculpteur? Voilà
par où on peut juger ce qu’on doit attendre des autres articles du Dic-
tionnaire, où ces messieurs parleront de choses qu’à la rigueur ils ne
sont pas obligés de savoir. »
Furetière avait raison et l’Académie finit par le comprendre : les
éditions suivantes du Dictionnaire ne comprennent plus le malencontreux
paragraphe.
En province, où l’esprit de caste a plus de racines, l’opposition devait
être plus tenace. Le monde avait de la peine à saluer ces parvenus qu’il
traitait la veille d’artisans et d’ouvriers mécaniques1. Aux yeux des éche-
vins marseillais, le Puget passe encore pour « un ouvrier visionnaire,
bon à mettre aux petites-maisons1 2 », et la vieille noblesse estime que
« manier le pinceau est contre la coutume de France qui ne veut pas
qu’un gentilhomme sache rien faire3 ».
Us feront plus d’accueil au moindre procureur
Qu’au plus grand artisan qu’ils mettent dans la fange;
On n’ose devant eux parler de Michel-Ange.
Quand même Phidias serait encore icy,
L’homme que tu connois le traiteroit ainsy4,
Toutefois ces préventions allaient s’affaiblissant de jour en jour ; le
xvme siècle leur porta le dernier coup en popularisant les Académies
provinciales. Les artistes de province avaient eu le bon esprit d’imiter
les Parisiens et d’associer à leurs compagnies des amateurs choisis parmi
les curieux les plus autorisés et les plus considérables de la ville. Sur
ce terrain commun, le Peintre et le Sculpteur se rencontraient avec leurs
confrères de la noblesse, du clergé, de la haute bourgeoisie. Dès lors
1. Inventaire des deus langues françois et latin, par Phil. Monet, 4 635 : Arts
liberaus, arts propres de personnes de franche ou de noble condition. — Dict. de
Richelet, 1680 ; il n’y a que sept arts libéraux, etc.
2. Lettre de Villeneuve, Arc,h. de l’art français, VI, 89.
D. Molière, le Sicilien ou l’Amour peintre.
4. Les Satyres de M. du Lorens, 1646, p. 163.