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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
transition dont on a tant parlé à propos d’elles? Saint Pierre et saint Paul sont bien
préférables. Plusieurs critiques, en 1870, attribuaient les manières différentes du
tableau à l’exécution de deux époques, avant son voyage à Florence et à son retour;
ayant maintenant la preuve que les figures en arrière du trône ont été imposées, ce
système doit être écarté. N’est-il pas évident que si Raphaël avait fait le tableau
d’après lui seul et en deux fois, il eût retouché les personnages anciens pour les mettre
en harmonie avec les nouveaux? Le Sanzio marchait vite, il y avait le plus souvent
progrès d’une œuvre à une autre, mais dans le même tableau, composé d’un petit
nombre de figures sur lesquelles il pouvait revenir, on ne doit pas penser à la transi-
tion comme dans la fresque de la Dispute.
Bernardino avait placé à gauche de la sainte Vierge saint François d’Assise, le
patron du couvent pour lequel il travaillait; comme on n’était pas d’accord sur la
couleur de sa robe, il en mit deux l’une sur l’autre, une brune sous la grise, préten-
dant ainsi satisfaire les deux opinions. Son tableau est sans predella, quand celui du
Sanzio en a une importante, composée de cinq compartiments. Aux deux extrémités
étaient saint François et saint Antoine de Padoue; saint François à droite de la
sainte Vierge en robe grise, son disciple en robe brune ; voici encore pour plaire à
chacun. Ces deux figures isolées se voient au musée de peinture de Dulwich, à l’ancien
collège; entre elles étaient, en allant de gauche à droite, la Prière au jardin des Oli-
viers, le Portement de croix, la Piété; la Prière est chez Miss Burdett Coutts, le Por-
tement de croix à Leigh Court, résidence de M. Ph. John Miles, banquier à Bristol;
pour la Piété, qui a figuré à l’exposition de Manchester, elle se trouve chez Mme H. Daw-
son, à Londres. Tous ces sujets existaient autrefois dans la galerie du Régent, et
auparavant chez la reine Christine de Suède à Rome. D’après Mariotti, les religieuses
avaient séparé la predella du tableau d’autel, et l’avaient mise derrière lui, du côté de
leur chœur; cette séparation amena le divorce moyennant 601 scudi fournis par la
reine en 1663, et plus tard, il ne leur resta plus rien, elles vendirent le tableau avec
son tympan. Il est douteux, ce serait un trop beau rêve, que les diverses parties de la
predella, qui sont toutes en Angleterre, puissent être jamais réunies, pour être de
nouveau placées sous le tableau.
Revenons à nos deux peintures: leur étude et les remarques qu’elles peuvent
inspirer à chacun offrent de l’intérêt. Il est curieux d’observer cette manière mixte du
Sanzio, si je puis dire, contraint, par la facilité de son caractère, à imiter les figures
vieillies et privées d’élévation de Bernardino. Son œuvre bien qu’améliorée ne pouvait
le satisfaire ; elle a plu aux religieuses et aux habitants de Pérouse qui tenaient pour
l’ancien style, Vasari l’a louée par tradition. De nos jours, elle intéresse les érudits
pour son authenticité; quant au public moyen, c’est autre chose, elle l’a laissé froid;
la madone l’étonnait, elle n’était pas pour lui une Vierge de Raphaël, et il avait raison.
Au contraire, quand notre artiste, étant dans sa pleine liberté, s’assimilait ce qui
lui plaisait dans les bonnes peintures anciennes et celles de son temps, son style
restait fort et original. Comme il ne connaissait pas l’envie, son admiration était réelle
pour les ouvrages d’autrui, et il la traduisait dans les siens tout en restant lui-même;
de là son étonnante variété.
P A LIA R D.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
transition dont on a tant parlé à propos d’elles? Saint Pierre et saint Paul sont bien
préférables. Plusieurs critiques, en 1870, attribuaient les manières différentes du
tableau à l’exécution de deux époques, avant son voyage à Florence et à son retour;
ayant maintenant la preuve que les figures en arrière du trône ont été imposées, ce
système doit être écarté. N’est-il pas évident que si Raphaël avait fait le tableau
d’après lui seul et en deux fois, il eût retouché les personnages anciens pour les mettre
en harmonie avec les nouveaux? Le Sanzio marchait vite, il y avait le plus souvent
progrès d’une œuvre à une autre, mais dans le même tableau, composé d’un petit
nombre de figures sur lesquelles il pouvait revenir, on ne doit pas penser à la transi-
tion comme dans la fresque de la Dispute.
Bernardino avait placé à gauche de la sainte Vierge saint François d’Assise, le
patron du couvent pour lequel il travaillait; comme on n’était pas d’accord sur la
couleur de sa robe, il en mit deux l’une sur l’autre, une brune sous la grise, préten-
dant ainsi satisfaire les deux opinions. Son tableau est sans predella, quand celui du
Sanzio en a une importante, composée de cinq compartiments. Aux deux extrémités
étaient saint François et saint Antoine de Padoue; saint François à droite de la
sainte Vierge en robe grise, son disciple en robe brune ; voici encore pour plaire à
chacun. Ces deux figures isolées se voient au musée de peinture de Dulwich, à l’ancien
collège; entre elles étaient, en allant de gauche à droite, la Prière au jardin des Oli-
viers, le Portement de croix, la Piété; la Prière est chez Miss Burdett Coutts, le Por-
tement de croix à Leigh Court, résidence de M. Ph. John Miles, banquier à Bristol;
pour la Piété, qui a figuré à l’exposition de Manchester, elle se trouve chez Mme H. Daw-
son, à Londres. Tous ces sujets existaient autrefois dans la galerie du Régent, et
auparavant chez la reine Christine de Suède à Rome. D’après Mariotti, les religieuses
avaient séparé la predella du tableau d’autel, et l’avaient mise derrière lui, du côté de
leur chœur; cette séparation amena le divorce moyennant 601 scudi fournis par la
reine en 1663, et plus tard, il ne leur resta plus rien, elles vendirent le tableau avec
son tympan. Il est douteux, ce serait un trop beau rêve, que les diverses parties de la
predella, qui sont toutes en Angleterre, puissent être jamais réunies, pour être de
nouveau placées sous le tableau.
Revenons à nos deux peintures: leur étude et les remarques qu’elles peuvent
inspirer à chacun offrent de l’intérêt. Il est curieux d’observer cette manière mixte du
Sanzio, si je puis dire, contraint, par la facilité de son caractère, à imiter les figures
vieillies et privées d’élévation de Bernardino. Son œuvre bien qu’améliorée ne pouvait
le satisfaire ; elle a plu aux religieuses et aux habitants de Pérouse qui tenaient pour
l’ancien style, Vasari l’a louée par tradition. De nos jours, elle intéresse les érudits
pour son authenticité; quant au public moyen, c’est autre chose, elle l’a laissé froid;
la madone l’étonnait, elle n’était pas pour lui une Vierge de Raphaël, et il avait raison.
Au contraire, quand notre artiste, étant dans sa pleine liberté, s’assimilait ce qui
lui plaisait dans les bonnes peintures anciennes et celles de son temps, son style
restait fort et original. Comme il ne connaissait pas l’envie, son admiration était réelle
pour les ouvrages d’autrui, et il la traduisait dans les siens tout en restant lui-même;
de là son étonnante variété.
P A LIA R D.