LE BUSTE DE BEATRIX D’ESTE.
331
Le Musée du Louvre expose, clans les salles de la Renaissance, un
buste de jeune fdle qui est, à mon avis, une des plus belles œuvres de
sculpture possédées par cet établissement. L’excellence exceptionnelle
de ce petit marbre, sorti évidemment des mains d’un artiste considé-
rable, torture depuis longtemps ma pensée comme une énigme et pose
atout ami de l’art un problème dont j’espère hâter la solution; je veux
parler du portrait de Béatrix d’Este, catalogué sous le n° 12 de la Notice
des sculptures de la Renaissance. Je demande la permission de sou-
mettre aux érudits quelques observations et quelques conjectures qui
conduiront peut-être à en découvrir l’auteur.
Mais, me clira-t-on, l’œuvre est connue et classée depuis longtemps.
Depuis trente ans, en effet, il est universellement admis, d’après le très-
judicieux catalogue rédigé en 1847 par M. Labarte pour la collection
Debruge-Dumesnill, que le n° 103 de cette collection1 2, acheté ensuite
par le Louvre, est un ouvrage de Desiderio da Settignano. Le marquis
de Laborde, à qui l’Etat doit cette excellente acquisition, avait, en
apparence, adopté l’opinion de M. Labarte. 11 faut remarquer cependant
que le savant conservateur du Louvre n’a jamais professé ce sentiment
d’unefaçon très-explicite; et, quand il l’a consigné très-laconiquement et
très-dubitativement sur les registres d’acquisition du Musée, on doit sup-
poser qu’il se promettait de revenir sur un problème à la solution duquel
son esprit était si préparé. C’est ce que ne permirent malheureusement
ni la révolution de 1848, qui le destitua, ni, après sa réintégration, son
départ définitif du Louvre. Echappée à l’examen du marquis de Laborde,
l’attribution émise une première fois n’a plus jamais été discutée en
France. Acceptée seulement sous toutes réserves dans les deux éditions
du Catalogue des sculptures modernes, elle fut adoptée sans aucune res-
triction par l’opinion publique qui lui voua une foi inébranlable. La
protestation d’un érudit américain3 n’altéra en rien la ferveur de cette
1. P. 37, 38 et 444.
2. M. Labarte, dont l’érudition précise ne néglige jamais aucun fait important, n’a
pas indiqué dans son catalogue la provenance du buste de Béatrix. C’est évidemment
que, après l’avoir cherchée, il n’avait pu parvenir à la connaître. Quelle valeur faudrait-
il donc attribuer à l’indication d’origine prêtée à cette sculpture par le tome YI du
Clarac continué, d’après lequel (p. 212, n° 3,537) le buste aurait fait partie de
l’ancienne collection Grimanide Venise? L’Anonimo de IMorelli et les excellentes notes
qui l’accompagnent, tout en parlant de la célèbre collection vénitienne, ne disent rien
de ce portrait de Béatrix. Le marbre, gravé dans le même tome VI de Clarac, est
déclaré avoir été attribué à la fois à Desiderio et à Sansovino. La seconde de ces
attributions est invraisemblable. La première est erronée.
3. Perkins, Les Sculpteurs italiens, éd. française, tome II, p. 209.
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Le Musée du Louvre expose, clans les salles de la Renaissance, un
buste de jeune fdle qui est, à mon avis, une des plus belles œuvres de
sculpture possédées par cet établissement. L’excellence exceptionnelle
de ce petit marbre, sorti évidemment des mains d’un artiste considé-
rable, torture depuis longtemps ma pensée comme une énigme et pose
atout ami de l’art un problème dont j’espère hâter la solution; je veux
parler du portrait de Béatrix d’Este, catalogué sous le n° 12 de la Notice
des sculptures de la Renaissance. Je demande la permission de sou-
mettre aux érudits quelques observations et quelques conjectures qui
conduiront peut-être à en découvrir l’auteur.
Mais, me clira-t-on, l’œuvre est connue et classée depuis longtemps.
Depuis trente ans, en effet, il est universellement admis, d’après le très-
judicieux catalogue rédigé en 1847 par M. Labarte pour la collection
Debruge-Dumesnill, que le n° 103 de cette collection1 2, acheté ensuite
par le Louvre, est un ouvrage de Desiderio da Settignano. Le marquis
de Laborde, à qui l’Etat doit cette excellente acquisition, avait, en
apparence, adopté l’opinion de M. Labarte. 11 faut remarquer cependant
que le savant conservateur du Louvre n’a jamais professé ce sentiment
d’unefaçon très-explicite; et, quand il l’a consigné très-laconiquement et
très-dubitativement sur les registres d’acquisition du Musée, on doit sup-
poser qu’il se promettait de revenir sur un problème à la solution duquel
son esprit était si préparé. C’est ce que ne permirent malheureusement
ni la révolution de 1848, qui le destitua, ni, après sa réintégration, son
départ définitif du Louvre. Echappée à l’examen du marquis de Laborde,
l’attribution émise une première fois n’a plus jamais été discutée en
France. Acceptée seulement sous toutes réserves dans les deux éditions
du Catalogue des sculptures modernes, elle fut adoptée sans aucune res-
triction par l’opinion publique qui lui voua une foi inébranlable. La
protestation d’un érudit américain3 n’altéra en rien la ferveur de cette
1. P. 37, 38 et 444.
2. M. Labarte, dont l’érudition précise ne néglige jamais aucun fait important, n’a
pas indiqué dans son catalogue la provenance du buste de Béatrix. C’est évidemment
que, après l’avoir cherchée, il n’avait pu parvenir à la connaître. Quelle valeur faudrait-
il donc attribuer à l’indication d’origine prêtée à cette sculpture par le tome YI du
Clarac continué, d’après lequel (p. 212, n° 3,537) le buste aurait fait partie de
l’ancienne collection Grimanide Venise? L’Anonimo de IMorelli et les excellentes notes
qui l’accompagnent, tout en parlant de la célèbre collection vénitienne, ne disent rien
de ce portrait de Béatrix. Le marbre, gravé dans le même tome VI de Clarac, est
déclaré avoir été attribué à la fois à Desiderio et à Sansovino. La seconde de ces
attributions est invraisemblable. La première est erronée.
3. Perkins, Les Sculpteurs italiens, éd. française, tome II, p. 209.