UNE VISITE A SAN-DONATO. Zill
sation clu vrai et le sentiment vague de l’infini dans les choses et de leur
poésie naïve.
Les deux Wynants de la galerie de San-Donato proviennent des col-
lections Simon Clarke, Higginson et Schneider. Ils sont l’un et l’autre
d’une qualité exquise, mais, il faut bien le dire, ces paysages, ceux de
de Van Goyen et de Van der Neer, et ceux de Ruisdaël, si j’en excepte
ses chutes d’eau et ses vues de forêt, sont primés par un morceau des
plus rares, un paysage de Rembrandt1!
Ce grand maître qui a gravé à l’eau-forte tant de paysages —Rartsch
en a décrit et compté cinquante-trois; j’en ai compté quarante et un
seulement dans mon Œuvre de Rembrandt, — ce grand maître, dis-je,
en a peint fort peu. Il n’en existe, à ma connaissance, qu’une douzaine.
J’en ai vu un à Copenhague, un à Dresde, un à Munich (celui-là douteux),
un très-beau à l’Exhibition de Manchester où l’avait exposé, en 1857, lord
Overstone, deux à Londres chez Thomas Hope, dans Piccadilly, et chez
Robert Peel. Il y en a ou il y en avait deux chez lord Lansdown et deux
au musée de Cassel que je n’ai point vus. Lord Hertford en possédait
un qui provenait de la galerie de Choiseul et enfin il en a passé un dans
la vente Samuel Rogers, en 1856 ou 57. Celui de la galerie Demidoff a
quelque ressemblance avec l’estampe du peintre, dite le Paysage à la
tour. Une tour, en effet, une vieille tour domine la vaste plaine repré-
sentée dans ce tableau sous un ciel pluvieux et triste où se mêlent les
tons de l’ardoise pâle et du gris d’argent. Les nuages ont un peu de
mouvement, mais la plaine dénuée de ce qui accuserait l’agitation de l’air
est immobile. On n’y voit que des masures basses, des figures de paysans
et quelques troupeaux. Sur la droite, la mer a fait une échancrure
dans le rivage. Le tout est d’une mélancolie profonde qui n’est pas
la mélancolie poignante et un peu maladive de Ruisdaël, mais celle
d’un génie plus robuste, plus mâle. Gomme Van Goyen, Rembrandt creuse
l’immensité sur une toile qui n’a pas un mètre de large et où le regard
se plonge et se perd ; mais sa peinture est plus solide, plus généreuse,
les dessous en sont tout à fait couverts, et sur son ciel à plusieurs
couches, on peut suivre les mouvements en sens divers d’un pinceau
agité, d’une main émue. L’effet de ce paysage a quelque chose de
sublime. Les tableaux de Van Goyen sont d’un maître : celui de Rem-
brandt est d’un grand maître. 1
1. C’est par erreur que M. Jules Jacquemart a signé sa planche Rembrandt van
Rhyn; c’est Remb. van Ryn qu’il faut lire. Le tableau porte cette dernière signature
dans la partie de terrain baignée d’ombre.
sation clu vrai et le sentiment vague de l’infini dans les choses et de leur
poésie naïve.
Les deux Wynants de la galerie de San-Donato proviennent des col-
lections Simon Clarke, Higginson et Schneider. Ils sont l’un et l’autre
d’une qualité exquise, mais, il faut bien le dire, ces paysages, ceux de
de Van Goyen et de Van der Neer, et ceux de Ruisdaël, si j’en excepte
ses chutes d’eau et ses vues de forêt, sont primés par un morceau des
plus rares, un paysage de Rembrandt1!
Ce grand maître qui a gravé à l’eau-forte tant de paysages —Rartsch
en a décrit et compté cinquante-trois; j’en ai compté quarante et un
seulement dans mon Œuvre de Rembrandt, — ce grand maître, dis-je,
en a peint fort peu. Il n’en existe, à ma connaissance, qu’une douzaine.
J’en ai vu un à Copenhague, un à Dresde, un à Munich (celui-là douteux),
un très-beau à l’Exhibition de Manchester où l’avait exposé, en 1857, lord
Overstone, deux à Londres chez Thomas Hope, dans Piccadilly, et chez
Robert Peel. Il y en a ou il y en avait deux chez lord Lansdown et deux
au musée de Cassel que je n’ai point vus. Lord Hertford en possédait
un qui provenait de la galerie de Choiseul et enfin il en a passé un dans
la vente Samuel Rogers, en 1856 ou 57. Celui de la galerie Demidoff a
quelque ressemblance avec l’estampe du peintre, dite le Paysage à la
tour. Une tour, en effet, une vieille tour domine la vaste plaine repré-
sentée dans ce tableau sous un ciel pluvieux et triste où se mêlent les
tons de l’ardoise pâle et du gris d’argent. Les nuages ont un peu de
mouvement, mais la plaine dénuée de ce qui accuserait l’agitation de l’air
est immobile. On n’y voit que des masures basses, des figures de paysans
et quelques troupeaux. Sur la droite, la mer a fait une échancrure
dans le rivage. Le tout est d’une mélancolie profonde qui n’est pas
la mélancolie poignante et un peu maladive de Ruisdaël, mais celle
d’un génie plus robuste, plus mâle. Gomme Van Goyen, Rembrandt creuse
l’immensité sur une toile qui n’a pas un mètre de large et où le regard
se plonge et se perd ; mais sa peinture est plus solide, plus généreuse,
les dessous en sont tout à fait couverts, et sur son ciel à plusieurs
couches, on peut suivre les mouvements en sens divers d’un pinceau
agité, d’une main émue. L’effet de ce paysage a quelque chose de
sublime. Les tableaux de Van Goyen sont d’un maître : celui de Rem-
brandt est d’un grand maître. 1
1. C’est par erreur que M. Jules Jacquemart a signé sa planche Rembrandt van
Rhyn; c’est Remb. van Ryn qu’il faut lire. Le tableau porte cette dernière signature
dans la partie de terrain baignée d’ombre.