UNE VISITE AUX MUSÉES DE LONDRES EN 1 87 6. 239
qu'ils auraient pu être. En obéissant à leurs instincts, à leurs passions,
aux besoins de leur position, ils ont suivi la loi commune de la nature
humaine, sans penser à toutes ces-réflexions qui, après deux cents ans,
nous viennent à l'esprit.
Nous autres, dans notre amour de l'art pur, clans notre orgueil de
critiques désintéressés, nous tournerions volontiers à la pédagogie. Pour
un rien, nous exprimerions, si cela se pouvait, aux maîtres de l'art nos
regrets superflus, et nous leur prodiguerions nos conseils surannés, qui
vraisemblablement les feraient bien rire.
Jean Steen est l'un de ceux qui excitent les regrets en même temps
que les sympathies. Il jeta à tous les vents des œuvres sans soin c$ sans
étude que l'on ne pourrait compter, tant elles sont nombreuses. Il eut
aussi le tort de traduire grotesquement des scènes historiques ou mytho-
logiques, même des sujets bibliques et religieux; mais là il fut puni par
l'ennui, par le dégoût que ces compositions ridicules inspirent.
Après avoir énergiquement formulé nos reproches, disons que si
Jean Steen pouvait retrancher de son œuvre tant d'ouvrages médiocres
et ne conserver que les bons, cet œuvre serait encore des plus considé-
rables et le classerait dans un rang bien plus élevé que celui qu'il occupe
dans l'échelle de l'art. Il possède l'observation, la gaieté et une verve
comique qui lui appartient personnellement. Lorsqu'il veut bien faire,
ses danses de paysans, ses scènes de kermesse et d'hôtellerie sont tou-
jours amusantes en même temps que bien peintes. Les compositions où
il représente des médecins au lit de leurs malades font, on l'a dit avant
nous, songer à Molière. Les gestes de ses figures sont justes et disent
bien ce qu'il veut leur faire dire. En regardant ses beaux ouvrages, on
pense avant tout à l'idée morale ou comique qui s'en dégage, et on laisse
au second plan le mérite de l'exécution, toujours vive et facile d'ailleurs.
Les œuvres de ce maître que l'on voit à la Haye (au musée
royal et dans la collection Steengracht) nous ont produit une vive im-
pression ; et il nous serait bien facile de citer en France et en Angleterre
d'autres Steen, également de premier ordre.
Celui que l'on voit à National Gallery n'est pas, tant s'en faut, un de
ces ouvrages négligés dont nous avons parlé ; c'est au contraire un
des plus achevés qui soient sortis de ses mains, et il dut probablement
à ce beau fini l'honneur d'entrer dans la collection de sir Robert Peel.
Combien d'amateurs, pour juger plus ou moins favorablement une œuvre
d'art, consultent avant tout son degré d'achèvement. Jean Steen se
montre dans ce petit panneau le rival de Metsu qui, nous l'avons déjà
dit, lui servit souvent de modèle. G'est encore et toujours une Leçon de
qu'ils auraient pu être. En obéissant à leurs instincts, à leurs passions,
aux besoins de leur position, ils ont suivi la loi commune de la nature
humaine, sans penser à toutes ces-réflexions qui, après deux cents ans,
nous viennent à l'esprit.
Nous autres, dans notre amour de l'art pur, clans notre orgueil de
critiques désintéressés, nous tournerions volontiers à la pédagogie. Pour
un rien, nous exprimerions, si cela se pouvait, aux maîtres de l'art nos
regrets superflus, et nous leur prodiguerions nos conseils surannés, qui
vraisemblablement les feraient bien rire.
Jean Steen est l'un de ceux qui excitent les regrets en même temps
que les sympathies. Il jeta à tous les vents des œuvres sans soin c$ sans
étude que l'on ne pourrait compter, tant elles sont nombreuses. Il eut
aussi le tort de traduire grotesquement des scènes historiques ou mytho-
logiques, même des sujets bibliques et religieux; mais là il fut puni par
l'ennui, par le dégoût que ces compositions ridicules inspirent.
Après avoir énergiquement formulé nos reproches, disons que si
Jean Steen pouvait retrancher de son œuvre tant d'ouvrages médiocres
et ne conserver que les bons, cet œuvre serait encore des plus considé-
rables et le classerait dans un rang bien plus élevé que celui qu'il occupe
dans l'échelle de l'art. Il possède l'observation, la gaieté et une verve
comique qui lui appartient personnellement. Lorsqu'il veut bien faire,
ses danses de paysans, ses scènes de kermesse et d'hôtellerie sont tou-
jours amusantes en même temps que bien peintes. Les compositions où
il représente des médecins au lit de leurs malades font, on l'a dit avant
nous, songer à Molière. Les gestes de ses figures sont justes et disent
bien ce qu'il veut leur faire dire. En regardant ses beaux ouvrages, on
pense avant tout à l'idée morale ou comique qui s'en dégage, et on laisse
au second plan le mérite de l'exécution, toujours vive et facile d'ailleurs.
Les œuvres de ce maître que l'on voit à la Haye (au musée
royal et dans la collection Steengracht) nous ont produit une vive im-
pression ; et il nous serait bien facile de citer en France et en Angleterre
d'autres Steen, également de premier ordre.
Celui que l'on voit à National Gallery n'est pas, tant s'en faut, un de
ces ouvrages négligés dont nous avons parlé ; c'est au contraire un
des plus achevés qui soient sortis de ses mains, et il dut probablement
à ce beau fini l'honneur d'entrer dans la collection de sir Robert Peel.
Combien d'amateurs, pour juger plus ou moins favorablement une œuvre
d'art, consultent avant tout son degré d'achèvement. Jean Steen se
montre dans ce petit panneau le rival de Metsu qui, nous l'avons déjà
dit, lui servit souvent de modèle. G'est encore et toujours une Leçon de