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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Brunn pour le dernier nom), l'artiste qui fut le législateur de cette école d'architectes
novateurs.
La deuxième livraison, dont nous avons vu d'avance plusieurs parties en préparation,
sera particulièrement consacrée au temple de Priène; nous pouvons dire que la création
du maître ancien se trouvera pour la première fois étudiée dans son ensemble et
dans ses détails avec l'exactitude religieuse et intelligente qu'elle méritait. Il est
curieux sous ce rapport d'observer le progrès accompli sur les vieilles gravures des
lonian Antiquities, qui cependant ont contribué de leur temps à redresser aussi le
véritable sentiment de l'architecture grecque. Par exemple, l'un des traits les plus
originaux de l'ordre de Priène est la composition de la base de la colonne, dont le
tore repose sur deux scoties superposées. Cette combinaison hardie, en appuyant une
partie saillante et pleine sur une partie plus évidée, mais que le redoublement rend
élastique et forte, donne au support une souplesse qui s'accorde très-heureusement
avec le caractère général de la colonne ionique. Seulement le dessinateur des Dilet-
tanti avait rétréci à l'excès la partie inférieure de la base, où sont les scoties; il affai-
blissait ainsi le support et changeait la hardiesse en témérité. Les dessins que nous
avons sous les yeux, faits sur des mesures beaucoup plus exactes et plus minutieuses,
donnent au contraire l'idée d'un profil savant et très-étudié, qui rétablit une parfaite
subordination entre les saillies. Le chapiteau même, dont les proportions, dans l'archi-
tecture grecque de l'Asie Mineure, s'écartent déjà trop, suivant nous1, des types larges
et variés des Propylées d'Athènes et du temple de Phigalie, gagne singulièrement à être
étudié dans les excellents dessins de M. Thomas; on y voit ce qu'il conserve de l'élé-
gance hellénique et combien il est encore loin des formes banales et pauvres, données
généralement à l'ordre ionique par les architectes romains.
Ce qui n'a pas été tenté et ce que nous donnera la prochaine livraison de l'ouvrage
de MM. Rayet et Thomas, c'est une restauration complète, avec élévations et coupes,
du temple de Priène. Un travail de ce genre, accompli sur les principales ruines de la
même région, permettra seul d'apprécier en toute connaissance de causo les modifi-
cations apportées dans l'art par les architectes ioniens.Leur grand effort s'est appliqué
nécessairement à introduire dans les ensembles des rapports inconnus avant eux.
S'ils ont proscrit l'ordre dorique, condamnation qui malgré tout retombera toujours
un peu sur ceux qui l'ont prononcée, c'est très-certainement qu'il se pliait mal à ces
xigenecs nouvelles. Le mouvement de réaction et de revendication quasi-nationale
qu'ils ont conduit en faveur de l'ionique ne les a pas empêchés de lui imposer aussi
certains sacrifices de rhythme et de forme, pour l'approprier à l'ordre extérieur de leurs
temples octostyles et l'élever jusqu'aux proportions colossales du temple de Didymes.
On n'en admirera pas moins ce qu'ils ont mis à la fois de science pratique, de génie et
de goût à développer, après la grande époque d'Ictinos et de Mnésiclès, certains côtés
nouveaux de la beauté architecturale, à créer, comme Lysippe dans la sculpture, ces
proportions à effet, qui plaisaient aux contemporains de Philippe et d'Alexandre, et
qui se prêtaient aussi plus commodément aux nécessités croissantes de l'art de bâtir.
Quant au grand temple de Didymes, nous pouvons nous faire d'avance une idée
de l'importance et du mérite do l'élude qui lui sera consacrée, par l'article que
M. Rayet a publié ici même , et par la remarquable restauration qui a été expo-
1. Voir les réserves que nous avons faites à ce sujet, Mission de Macédoine, p. 223, cf. p. 168, dans une
rapide revue de l'architecture grecque, où nous signalions déjà la révolution architecturale opérée par la
nouvelle école ionienne.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
Brunn pour le dernier nom), l'artiste qui fut le législateur de cette école d'architectes
novateurs.
La deuxième livraison, dont nous avons vu d'avance plusieurs parties en préparation,
sera particulièrement consacrée au temple de Priène; nous pouvons dire que la création
du maître ancien se trouvera pour la première fois étudiée dans son ensemble et
dans ses détails avec l'exactitude religieuse et intelligente qu'elle méritait. Il est
curieux sous ce rapport d'observer le progrès accompli sur les vieilles gravures des
lonian Antiquities, qui cependant ont contribué de leur temps à redresser aussi le
véritable sentiment de l'architecture grecque. Par exemple, l'un des traits les plus
originaux de l'ordre de Priène est la composition de la base de la colonne, dont le
tore repose sur deux scoties superposées. Cette combinaison hardie, en appuyant une
partie saillante et pleine sur une partie plus évidée, mais que le redoublement rend
élastique et forte, donne au support une souplesse qui s'accorde très-heureusement
avec le caractère général de la colonne ionique. Seulement le dessinateur des Dilet-
tanti avait rétréci à l'excès la partie inférieure de la base, où sont les scoties; il affai-
blissait ainsi le support et changeait la hardiesse en témérité. Les dessins que nous
avons sous les yeux, faits sur des mesures beaucoup plus exactes et plus minutieuses,
donnent au contraire l'idée d'un profil savant et très-étudié, qui rétablit une parfaite
subordination entre les saillies. Le chapiteau même, dont les proportions, dans l'archi-
tecture grecque de l'Asie Mineure, s'écartent déjà trop, suivant nous1, des types larges
et variés des Propylées d'Athènes et du temple de Phigalie, gagne singulièrement à être
étudié dans les excellents dessins de M. Thomas; on y voit ce qu'il conserve de l'élé-
gance hellénique et combien il est encore loin des formes banales et pauvres, données
généralement à l'ordre ionique par les architectes romains.
Ce qui n'a pas été tenté et ce que nous donnera la prochaine livraison de l'ouvrage
de MM. Rayet et Thomas, c'est une restauration complète, avec élévations et coupes,
du temple de Priène. Un travail de ce genre, accompli sur les principales ruines de la
même région, permettra seul d'apprécier en toute connaissance de causo les modifi-
cations apportées dans l'art par les architectes ioniens.Leur grand effort s'est appliqué
nécessairement à introduire dans les ensembles des rapports inconnus avant eux.
S'ils ont proscrit l'ordre dorique, condamnation qui malgré tout retombera toujours
un peu sur ceux qui l'ont prononcée, c'est très-certainement qu'il se pliait mal à ces
xigenecs nouvelles. Le mouvement de réaction et de revendication quasi-nationale
qu'ils ont conduit en faveur de l'ionique ne les a pas empêchés de lui imposer aussi
certains sacrifices de rhythme et de forme, pour l'approprier à l'ordre extérieur de leurs
temples octostyles et l'élever jusqu'aux proportions colossales du temple de Didymes.
On n'en admirera pas moins ce qu'ils ont mis à la fois de science pratique, de génie et
de goût à développer, après la grande époque d'Ictinos et de Mnésiclès, certains côtés
nouveaux de la beauté architecturale, à créer, comme Lysippe dans la sculpture, ces
proportions à effet, qui plaisaient aux contemporains de Philippe et d'Alexandre, et
qui se prêtaient aussi plus commodément aux nécessités croissantes de l'art de bâtir.
Quant au grand temple de Didymes, nous pouvons nous faire d'avance une idée
de l'importance et du mérite do l'élude qui lui sera consacrée, par l'article que
M. Rayet a publié ici même , et par la remarquable restauration qui a été expo-
1. Voir les réserves que nous avons faites à ce sujet, Mission de Macédoine, p. 223, cf. p. 168, dans une
rapide revue de l'architecture grecque, où nous signalions déjà la révolution architecturale opérée par la
nouvelle école ionienne.