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GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
et s’v adonnèrent-ils avec une méthode singulière. Loin de suivre scrupu-
leusement la nature, connue il convenait faire, on les voyait choisir
les traits essentiels du modèle pour les embellir par après de toute la
parure imaginaire de leur propre caprice. Cocbin lui-même, Cochin dé-
plorait, vers 1771, les excès des portraitistes de la première moitié de
son siècle. « Les portraits d’alors, écrit-il, étoient peints avec plus de
facilité que de vérité, parce que la plupart étoient faits de génie. Tous
les ajustemens étoient fictifs : pour les hommes, c’étoit presque toujours
une draperie de velours jettée sur une veste; les femmes étoient ornées
d’une robe ceinte comme les habits de théâtre et de quelques draperies
d’étoffes légères agencées artistement par-dessus. Mais principalement les
peintres de portraits avoient un goût d’embellissement dont ils s’étoient
imposé la loi et qu’ils portoient peut-être trop loin1 ». Les doux men-
songes et le dessin flatteur des portraitistes à la mode n’étaient pas tou-
jours inspirés par ce terrible « goût d’embellissement » ; les exigences des
personnages allaient leur train et il fallait parfois subir mille petites
volontés. Ainsi, en face d’une de ces toiles où le mélange le plus invrai-
semblable de l’allégorie, de la mythologie se combine avec les formes
principales d’une figure pour composer un portrait pittoresque, on ne sait
s’il est mieux avisé d’attribuer au peintre ou bien au modèle les détails
d’invention et d’ordonnance. Toute effigie de femme surtout doit laisser
croire à une influence tyrannique du modèle, car les beautés de la cour
et de la ville ne prenaient pas comme une mince affaire le grand œuvre
de leur portraitiste. Chacune faisait l’entendue et prétendait diriger à
souhait la mise en œuvre de sa ressemblance : on rêvait costumes de
déesses, attitudes d’apothéose, on sortait du fond de ses souvenirs toute
la garde-robe de l’Olympe et de l’Age d’or : on voulait poser en Diane, en
Flore, en Naïade, en Élément, en Aurore, en Muse, en Hébé. D’autres
fois, on s’ingéniait à des travestissements plus inattendus, car au Salon
de 17/i3, les amateurs de turqueries admiraient « Mademoiselle de Cler-
mont, princesse du sang, représentée en sultane sortant du bain, servie
par des esclaves. » Ces caprices d’apparence si théâtrale servaient parfois
nos peintres en leur inspirant des raffinements d’une délicieuse adresse ;
et, à le bien prendre, de telles bizarreries féminines soutinrent la verve
des portraitistes du temps. Voyez, rue de Sèze, les Nattier et les Drouais
de cette exposition du xvm° siècle. Les a-t-on assez prodigués pour nous
remettre en mémoire l’idéal du genre? Il y a là de Nattier, Mme Geoffrin,
Mmc de Flesselles, la marquise de la Ferté-Imbault, la marquise de Foyanne,
t. Œuvres diverses de M. Cochin, Paris, Jombert, 1771, III, 315.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS.
et s’v adonnèrent-ils avec une méthode singulière. Loin de suivre scrupu-
leusement la nature, connue il convenait faire, on les voyait choisir
les traits essentiels du modèle pour les embellir par après de toute la
parure imaginaire de leur propre caprice. Cocbin lui-même, Cochin dé-
plorait, vers 1771, les excès des portraitistes de la première moitié de
son siècle. « Les portraits d’alors, écrit-il, étoient peints avec plus de
facilité que de vérité, parce que la plupart étoient faits de génie. Tous
les ajustemens étoient fictifs : pour les hommes, c’étoit presque toujours
une draperie de velours jettée sur une veste; les femmes étoient ornées
d’une robe ceinte comme les habits de théâtre et de quelques draperies
d’étoffes légères agencées artistement par-dessus. Mais principalement les
peintres de portraits avoient un goût d’embellissement dont ils s’étoient
imposé la loi et qu’ils portoient peut-être trop loin1 ». Les doux men-
songes et le dessin flatteur des portraitistes à la mode n’étaient pas tou-
jours inspirés par ce terrible « goût d’embellissement » ; les exigences des
personnages allaient leur train et il fallait parfois subir mille petites
volontés. Ainsi, en face d’une de ces toiles où le mélange le plus invrai-
semblable de l’allégorie, de la mythologie se combine avec les formes
principales d’une figure pour composer un portrait pittoresque, on ne sait
s’il est mieux avisé d’attribuer au peintre ou bien au modèle les détails
d’invention et d’ordonnance. Toute effigie de femme surtout doit laisser
croire à une influence tyrannique du modèle, car les beautés de la cour
et de la ville ne prenaient pas comme une mince affaire le grand œuvre
de leur portraitiste. Chacune faisait l’entendue et prétendait diriger à
souhait la mise en œuvre de sa ressemblance : on rêvait costumes de
déesses, attitudes d’apothéose, on sortait du fond de ses souvenirs toute
la garde-robe de l’Olympe et de l’Age d’or : on voulait poser en Diane, en
Flore, en Naïade, en Élément, en Aurore, en Muse, en Hébé. D’autres
fois, on s’ingéniait à des travestissements plus inattendus, car au Salon
de 17/i3, les amateurs de turqueries admiraient « Mademoiselle de Cler-
mont, princesse du sang, représentée en sultane sortant du bain, servie
par des esclaves. » Ces caprices d’apparence si théâtrale servaient parfois
nos peintres en leur inspirant des raffinements d’une délicieuse adresse ;
et, à le bien prendre, de telles bizarreries féminines soutinrent la verve
des portraitistes du temps. Voyez, rue de Sèze, les Nattier et les Drouais
de cette exposition du xvm° siècle. Les a-t-on assez prodigués pour nous
remettre en mémoire l’idéal du genre? Il y a là de Nattier, Mme Geoffrin,
Mmc de Flesselles, la marquise de la Ferté-Imbault, la marquise de Foyanne,
t. Œuvres diverses de M. Cochin, Paris, Jombert, 1771, III, 315.