Gazette des beaux-arts: la doyenne des revues d'art (3. Pér. 14.1895)

166

GAZETTE DES BEAUX-ARTS.

Ange. Du moins, il avait reconnu qu’il fallait l’attribuer à l’époque romaine ;
mais, pendant longtemps, son opinion ne trouva pas d’écho. Un préfe , de
Kustendjé, M. Opran, soutint que le monument était perse; M. Soutzo, en
1881, en faisait l'œuvre des Thraces, vers le ve siècle avant Jésus-Christ ‘.
Dès 1857, il est vrai, le conservateur du Musée de Vienne, E. von Sacken,
étudiant le dessin d’un bas-relief d’Adam-Klissi, exécuté par le géologue
K. F. Peters, y avait signalé la représentation d’un guerrier dace; mais il ne
fut pas plus écouté que Moltke. Du reste, jusqu’en 1878, date de la cession de
la Dobroudja à la Roumanie, bien peu d’Européens avaient pu approcher de
ces ruines, perdues dans un pays à moitié désert, toujours mal fréquenté et
souvent malsain. C’est le mérite d’un sénateur roumain, qui est en même
temps directeur du Musée de Bucharest, M. Tocilescu, d’avoir compris l’impor-
tance d’Adam-Klissi pour l’histoire de sa patrie et d’avoir appelé sur cette
tour l’attention des archéologues européens. On se convainquit bientôt qu’il
s’agissait, non d’un mausolée, mais d’un monument triomphal érigé par Tra-
jan, en souvenir de ses victoires sur les Daces. Le prétendu temple thrace
ou persan venait ainsi prendre place, dans l’histoire de l’architecture impé-
riale, à côté de la Colonne Trajane, dont il est presque exactement contempo-
rain. .M. Tocilescu exécuta des fouilles à l’entour d’Adam-Klissi, dans les
ruines d’une station romaine; il y découvrit une inscription qui lui donna
le nom antique du lieu, Tropœum Trajani. Dès lors, il ne s’agissait plus que
de recueillir, tant à la surface du sol que dans les cimetières du voisinage
et les musées des pays balkaniques, les bas-reliefs et les fragments d’archi-
tecture qui pouvaient servir à une reconstitution de l’ensemble. M. Tocilescu
a été secondé dans cette tâche par un éminent architecte autrichien, M. Nie-
mann, auteur du croquis restauré que nous reproduisons, et parle célèbre
professeur d’archéologie à l’Université de Vienne, M. Otto Benndorf, qui doit
prochainement publier, en roumain et en allemand, une grande monogra-
phie illustrée de Tropœum Trajani, ouvrage dont un Mécène roumain,
M. Nicolas Dumba, a fait les frais 2.

Les bas-reliefs qui décoraient le monument d’Adam-Klissi représentent des
guerriers daces enchaînés et des combats entre Daces et Romains. Ce sont
des épisodes de la grande guerre qui, commencée par Trajan en 102, termi-
née seulement en 107, eut pour conséquence la destruction partielle de la
population indigène et son remplacement par des colons romains, auxquels
la Dacie dut la langue que parlent les Roumains actuels. De toutes les
conquêtes de l’Empire, c’est la seule qui ait produit des effets durables ; le
monde latin peut s’enorgueillir encore de l’extension que lui a donnée Trajan.

Les bas-reliefs sont d’une extrême barbarie ; seuls, les détails de l’orne-

1. Revue archéologique, 1881, II, P· 287.

2. M. Benndorf a publié un premier travail sur Adam-Klissi dans YArchœolo-
gischer Anzeiger, 1895, p. 28.