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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
m’a donné. Je lui dois des sensations qn’avant lui je n’avais pas
discernées.
L’admirable Christ de M. Carrière est un poème dédié à la dou-
leur par un homme qui l’a connue certainement et qui a éprouvé
tout ce qu’elle contient de divin.
Ce Christ, c’est l’expiation par la souffrance, c’est le sacrifice ;
cette Vierge, cette femme qui sanglote, c’est la Douleur, c’est-à-dire
la révolte contre l’absolu et l’irrémédiable. Ce drame si complexe
est cependant rendu avec la plus hautaine simplicité, une simplicité
telle, qu’elle rapproche cette œuvre des représentations du même
sujet traitées par le pinceau des Primitifs.
Aï ec MM. Roi 1 et Dagnan, nous avons la sensation que la pein-
ture est une chose forte et grave. La sincérité, le manque absolu de
subterfuges dans l’exécution disent bien comment M. Roll exécute
ses tableaux. S’il songe à mettre de la poésie dans ses œuvres, ce ne
sera qu’après avoir satisfait à la réalité la plus rigoureuse par un
travail acharné, pour la haute ambition de satisfaire sa conscience.
Aussi, s’élève-t-il de ses tableaux comme une odeur de terre remuée,
pleine de sève.
Chez M. Dagnan-Bouveret, c’est la même recherche de vérité qui
se résout en mysticité. Le moyen âge souffle dans les coiffes de ses
Bretonnes, sans les rendre pourtant semblables aux belles statues des
cathédrales. C’est que la vérité, pour qui la voit, est plus forte que
toutes les résolutions et qu’une femme, fut-elle une sainte dans une
châsse, est toujours une femme. On dit volontiers que M. Dagnan
est un mystique ; je crois pour ma part qu’il est surtout un peintre
réaliste et que c’est là qu’il faut chercher sa mysticité, parce qu’elle
émane de lui bien plus que de ses aspirations vers un art religieux.
M. Gervex, dont l’œuvre est connu de tout le monde, expose
cette année une grande toile officielle où triomphent toutes ses qua-
lités de peintre. Nul mieux que lui ne pouvait rendre l’ambiance
poudroyante des grands espaces où se meuvent les foules.
Tout jeune, cet artiste a conquis une grande place et, par la
nature de son talent, il marque une transition entre ce qui fut et ce
qui est. Son individualité a une véritable signification dans notre art
contemporain.
Devant les œuvres de M. Lhermitte, le respect prime l’élan. Cet
art m’est un peu lointain. Je ne puis m’empêcher de penser que ces
grands paysans majestueux, une fois revenus dans leurs foyers, sont
de mauvais drôles prêts à tout, et la vérité académique, sous laquelle
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
m’a donné. Je lui dois des sensations qn’avant lui je n’avais pas
discernées.
L’admirable Christ de M. Carrière est un poème dédié à la dou-
leur par un homme qui l’a connue certainement et qui a éprouvé
tout ce qu’elle contient de divin.
Ce Christ, c’est l’expiation par la souffrance, c’est le sacrifice ;
cette Vierge, cette femme qui sanglote, c’est la Douleur, c’est-à-dire
la révolte contre l’absolu et l’irrémédiable. Ce drame si complexe
est cependant rendu avec la plus hautaine simplicité, une simplicité
telle, qu’elle rapproche cette œuvre des représentations du même
sujet traitées par le pinceau des Primitifs.
Aï ec MM. Roi 1 et Dagnan, nous avons la sensation que la pein-
ture est une chose forte et grave. La sincérité, le manque absolu de
subterfuges dans l’exécution disent bien comment M. Roll exécute
ses tableaux. S’il songe à mettre de la poésie dans ses œuvres, ce ne
sera qu’après avoir satisfait à la réalité la plus rigoureuse par un
travail acharné, pour la haute ambition de satisfaire sa conscience.
Aussi, s’élève-t-il de ses tableaux comme une odeur de terre remuée,
pleine de sève.
Chez M. Dagnan-Bouveret, c’est la même recherche de vérité qui
se résout en mysticité. Le moyen âge souffle dans les coiffes de ses
Bretonnes, sans les rendre pourtant semblables aux belles statues des
cathédrales. C’est que la vérité, pour qui la voit, est plus forte que
toutes les résolutions et qu’une femme, fut-elle une sainte dans une
châsse, est toujours une femme. On dit volontiers que M. Dagnan
est un mystique ; je crois pour ma part qu’il est surtout un peintre
réaliste et que c’est là qu’il faut chercher sa mysticité, parce qu’elle
émane de lui bien plus que de ses aspirations vers un art religieux.
M. Gervex, dont l’œuvre est connu de tout le monde, expose
cette année une grande toile officielle où triomphent toutes ses qua-
lités de peintre. Nul mieux que lui ne pouvait rendre l’ambiance
poudroyante des grands espaces où se meuvent les foules.
Tout jeune, cet artiste a conquis une grande place et, par la
nature de son talent, il marque une transition entre ce qui fut et ce
qui est. Son individualité a une véritable signification dans notre art
contemporain.
Devant les œuvres de M. Lhermitte, le respect prime l’élan. Cet
art m’est un peu lointain. Je ne puis m’empêcher de penser que ces
grands paysans majestueux, une fois revenus dans leurs foyers, sont
de mauvais drôles prêts à tout, et la vérité académique, sous laquelle