CORRESPONDANCE DE VIENNE
517
Les fondateurs de la nouvelle société sont : MM. Gustave Klimt, président,
Jean-Victor Kramer, un vigoureux peintre de la nature sicilienne et des floraisons
de verger* sous nos latitudes, Rudolf Bercher, Cari Moll, un peintre des places
et des marchés de Vienne, en même temps que des côtes de Dalmatie, enfin Josef
Engelhart, dont la Gazette des Beaux-Arts a reproduit une œuvre intéressante en
1894. Un artiste manque à l'appel, celui pourtant qui avait le plus désiré cette
séparation entre la routine inféodée à telle superstition ou à telle école et la
marche en avant dénuée de toute réglementation arbitraire ; c’est ce vaillant
caractère et cet artiste inégal, mais toujours intense, Theodor von Hœrmann,
dont il a été déjà si souvent parlé dans ces correspondances de Vienne, et qui
fut certainement, avec Pettenkoffen, l’artiste le plus sincère et le plus travailleur
qu’ait produit l’Autriche. S’il fut à la peine plus que tout autre, il ne manquera
certainement pas à l’honneur, l’un des premiers soins de la nouvelle Sécession
devant être une nouvelle exposition de son œuvre posthume.
Deux étrangers établis à Paris sont aux yeux des connaisseurs la vraie gloire
du Salon viennois. Le mieux représenté est le Finlandais Wallgren; il faut lui
adjoindre le Suédois Thaulow. Ce dernier n’a qu’un seul tableau, — mal placé,
il va sans dire — un coin de rue de province, désert, avec tout l’éclat d’une
lumière nocturne sur une barrière peinte en rouge. Pas un ton dont on ne puisse
dire qu’il n’avait pas encore été vu, du moins en harmonie avec le voisin ; le tout
est, dans la sourde violence, un tour de force de polyphonie intense, en même
temps que de facture simplifiée; c’est un de ces morceaux qui, de la seule maî-
trise de leur facture tirent tout leur intérêt et toute une poésie. Quant aux sta-
tuettes de M. Vallgren, d’un si précieux sentiment des lignes féminines, de la
forme mouvante, de la vie onduleuse et souple, revêtues enfin de patines si
riches et si savantes, Paris les connaît de longue date, et nous avons le plaisir ici
de constater que si le public passe incompréhensif devant ces veuves, ces pleu-
reuses, ces respireuses de parfums, ces prosternées aux longues chevelures, ces
fillettes pâmées sur le calice d’une fleur, devant le marteau de porte où une
femme désolée s’accroche désespérément à une grille de prison, voire même
devant le projet de lampe électrique où une sorte de Daphné aux verdeurs de
jeune pousse dont la sève fait éclater les bourgeons, éclôt en fleurs, en revanche,
il s’y trouve toujours en arrêt, comme naguère nous le rapportions de l’exposition
d’affiches, quelque groupe de jeunes gens vivement intéressés. Il est vrai qu’à la
section de sculpture, quand ces petits bijoux ont été vus, il ne reste plus rien à
regarder, sauf un buste d’enfant au nez retroussé, garçonnet très éveillé, traité
avec une rare intelligence par M. F. Seifert, et un Wotan d’assez noble allure,
par M. Weiss.
Parmi les peintres viennois, le plus grand éloge revient cette année à une
artiste que nous n’avons jamais eu une si bonne occasion de mentionner :
Mme Wiesinger-Florian. Nous croyons qu’il est difficile de demander à un peintre
de fleurs mieux que n’a donné cette artiste excessivement habile et conscien-
cieuse sans minutie, avec un champ de choux auquel des lointains tragiques et
un ciel orageux prêtent quelque noblesse, et avec une allée de rosiers blancs dans
un ensemble non moins dramatique. Tant de fermeté s’y joint à tant de délica-
tesse, pour former un ensemble à la fois si sobre de maintien, si largement soigné,
que nous pourrions en citer bien peu de semblables parmi les pensums des
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Les fondateurs de la nouvelle société sont : MM. Gustave Klimt, président,
Jean-Victor Kramer, un vigoureux peintre de la nature sicilienne et des floraisons
de verger* sous nos latitudes, Rudolf Bercher, Cari Moll, un peintre des places
et des marchés de Vienne, en même temps que des côtes de Dalmatie, enfin Josef
Engelhart, dont la Gazette des Beaux-Arts a reproduit une œuvre intéressante en
1894. Un artiste manque à l'appel, celui pourtant qui avait le plus désiré cette
séparation entre la routine inféodée à telle superstition ou à telle école et la
marche en avant dénuée de toute réglementation arbitraire ; c’est ce vaillant
caractère et cet artiste inégal, mais toujours intense, Theodor von Hœrmann,
dont il a été déjà si souvent parlé dans ces correspondances de Vienne, et qui
fut certainement, avec Pettenkoffen, l’artiste le plus sincère et le plus travailleur
qu’ait produit l’Autriche. S’il fut à la peine plus que tout autre, il ne manquera
certainement pas à l’honneur, l’un des premiers soins de la nouvelle Sécession
devant être une nouvelle exposition de son œuvre posthume.
Deux étrangers établis à Paris sont aux yeux des connaisseurs la vraie gloire
du Salon viennois. Le mieux représenté est le Finlandais Wallgren; il faut lui
adjoindre le Suédois Thaulow. Ce dernier n’a qu’un seul tableau, — mal placé,
il va sans dire — un coin de rue de province, désert, avec tout l’éclat d’une
lumière nocturne sur une barrière peinte en rouge. Pas un ton dont on ne puisse
dire qu’il n’avait pas encore été vu, du moins en harmonie avec le voisin ; le tout
est, dans la sourde violence, un tour de force de polyphonie intense, en même
temps que de facture simplifiée; c’est un de ces morceaux qui, de la seule maî-
trise de leur facture tirent tout leur intérêt et toute une poésie. Quant aux sta-
tuettes de M. Vallgren, d’un si précieux sentiment des lignes féminines, de la
forme mouvante, de la vie onduleuse et souple, revêtues enfin de patines si
riches et si savantes, Paris les connaît de longue date, et nous avons le plaisir ici
de constater que si le public passe incompréhensif devant ces veuves, ces pleu-
reuses, ces respireuses de parfums, ces prosternées aux longues chevelures, ces
fillettes pâmées sur le calice d’une fleur, devant le marteau de porte où une
femme désolée s’accroche désespérément à une grille de prison, voire même
devant le projet de lampe électrique où une sorte de Daphné aux verdeurs de
jeune pousse dont la sève fait éclater les bourgeons, éclôt en fleurs, en revanche,
il s’y trouve toujours en arrêt, comme naguère nous le rapportions de l’exposition
d’affiches, quelque groupe de jeunes gens vivement intéressés. Il est vrai qu’à la
section de sculpture, quand ces petits bijoux ont été vus, il ne reste plus rien à
regarder, sauf un buste d’enfant au nez retroussé, garçonnet très éveillé, traité
avec une rare intelligence par M. F. Seifert, et un Wotan d’assez noble allure,
par M. Weiss.
Parmi les peintres viennois, le plus grand éloge revient cette année à une
artiste que nous n’avons jamais eu une si bonne occasion de mentionner :
Mme Wiesinger-Florian. Nous croyons qu’il est difficile de demander à un peintre
de fleurs mieux que n’a donné cette artiste excessivement habile et conscien-
cieuse sans minutie, avec un champ de choux auquel des lointains tragiques et
un ciel orageux prêtent quelque noblesse, et avec une allée de rosiers blancs dans
un ensemble non moins dramatique. Tant de fermeté s’y joint à tant de délica-
tesse, pour former un ensemble à la fois si sobre de maintien, si largement soigné,
que nous pourrions en citer bien peu de semblables parmi les pensums des