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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
l’Espagnol, qui, pour avoir osé défendre Spatario, figurerait ici sous
la figure du roi Midas, le juge ignorant dans la dispute entre Apollon
et Pan.
Sans affirmer que cette interprétation corresponde précisément
et de toutes pièces aux intentions du sculpteur et de ceux qui com-
mandèrent le travail, elle semble toutefois admissible dans ses traits
généraux. L’époque à laquelle elle nous ramène concorde parfai-
tement avec la maturité du style qu’on remarque dans l'œuvre.
L’érudit commentateur de notre monument n’a pas négligé, du
reste, de faire des recherches historiques sur le compte de l’homme
de guerre qui, du droit du plus fort, s’en empara pour le transporter
en sa demeure de Trévise. Aidé par quelques savants de cette
ville, M. Sant’Amhrogio a pu réunir de nombreux renseignements
concernant le comte Mercure Bua et publier, à son sujet, des docu-
ments appartenant aux archives locales. Il en résulte que l’épigraphe
qui concerne ce dernier s’accorde assez bien avec ce que les données
historiques nous ont transmis à son égard, bien qu’elle soit posté-
rieure de soixante-dix ans environ à l’érection du monument. Les
éloges tant soit peu emphatiques qu’elle contient s’expliquent d’ail-
leurs, si l’on songe à l’humble origine de ce condottiere qui, né près
de Spalato, en Dalmatie, réussit peu à peu à s’élever aux plus hauts
grades militaires de la République Sérénissime et à mériter le titre
de comte par sa vaillance et sa grande compétence dans les choses
de la guerre. Il est question de lui dans la célèbre chronique de
Marin Sanudo, et, au sujet de son inclination vers les grandeurs et
le faste, qui passionnent généralement les parvenus, il est piquant
de lire, dans les Dicirii, comment il aimait à s’habiller « con un scijo
d’oro e uno zupon damaschino negro, una baréta di veludo negro in
capo e una grande e grossa coladena d'oro al collo, e con un ve.stito
alla franzese, che faceva risciltare la sua persona e gli dava un bello
e maestoso cispetto, benchè fosse piccolo di statura ».
Quant à sa sépulture, les annotations des archives nous appren-
nent que, dès le Ier mai 1520, il existait un testament de lui, faisant
mention de l’idée qu’il nourrissait de se faire ériger par ses héri-
tiers un monument funéraire dans une chapelle de l’église de Sainte-
Marie-Majeure, à laquelle il destinait une somme importante. Ce
n’est qu’en 1531, toutefois, que Mercure Bua s’accorda avec les
moines de l’église, moyennant le débours de 300 ducats, pour l'exécu-
tion de cette chapelle, considérée comme sa propriété et celle de ses
héritiers. A son tour, il s’engageait à y faire construire son tombeau,
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l’Espagnol, qui, pour avoir osé défendre Spatario, figurerait ici sous
la figure du roi Midas, le juge ignorant dans la dispute entre Apollon
et Pan.
Sans affirmer que cette interprétation corresponde précisément
et de toutes pièces aux intentions du sculpteur et de ceux qui com-
mandèrent le travail, elle semble toutefois admissible dans ses traits
généraux. L’époque à laquelle elle nous ramène concorde parfai-
tement avec la maturité du style qu’on remarque dans l'œuvre.
L’érudit commentateur de notre monument n’a pas négligé, du
reste, de faire des recherches historiques sur le compte de l’homme
de guerre qui, du droit du plus fort, s’en empara pour le transporter
en sa demeure de Trévise. Aidé par quelques savants de cette
ville, M. Sant’Amhrogio a pu réunir de nombreux renseignements
concernant le comte Mercure Bua et publier, à son sujet, des docu-
ments appartenant aux archives locales. Il en résulte que l’épigraphe
qui concerne ce dernier s’accorde assez bien avec ce que les données
historiques nous ont transmis à son égard, bien qu’elle soit posté-
rieure de soixante-dix ans environ à l’érection du monument. Les
éloges tant soit peu emphatiques qu’elle contient s’expliquent d’ail-
leurs, si l’on songe à l’humble origine de ce condottiere qui, né près
de Spalato, en Dalmatie, réussit peu à peu à s’élever aux plus hauts
grades militaires de la République Sérénissime et à mériter le titre
de comte par sa vaillance et sa grande compétence dans les choses
de la guerre. Il est question de lui dans la célèbre chronique de
Marin Sanudo, et, au sujet de son inclination vers les grandeurs et
le faste, qui passionnent généralement les parvenus, il est piquant
de lire, dans les Dicirii, comment il aimait à s’habiller « con un scijo
d’oro e uno zupon damaschino negro, una baréta di veludo negro in
capo e una grande e grossa coladena d'oro al collo, e con un ve.stito
alla franzese, che faceva risciltare la sua persona e gli dava un bello
e maestoso cispetto, benchè fosse piccolo di statura ».
Quant à sa sépulture, les annotations des archives nous appren-
nent que, dès le Ier mai 1520, il existait un testament de lui, faisant
mention de l’idée qu’il nourrissait de se faire ériger par ses héri-
tiers un monument funéraire dans une chapelle de l’église de Sainte-
Marie-Majeure, à laquelle il destinait une somme importante. Ce
n’est qu’en 1531, toutefois, que Mercure Bua s’accorda avec les
moines de l’église, moyennant le débours de 300 ducats, pour l'exécu-
tion de cette chapelle, considérée comme sa propriété et celle de ses
héritiers. A son tour, il s’engageait à y faire construire son tombeau,