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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
brutalité J, tantôt de mièvrerie. Ce n’était ni la fine raillerie gauloise,
ni les sarcasmes à l’emporte-pièce chers aux Italiens. La caricature
même, avec les formes littéraires qu’elle comporte, n’y entrait que
pour une faible close. Par contre, la lourdeur et la laideur leur appa-
raissaient comme la condition sine qua non du caractère. A leur ca-
non du corps humain les artistes flamands se plai-
saient à donner les proportions les plus trapues,
(est-il nécessaire de rappeler les Prophètes de Clanx
Sluter?) à leurs types les traits les plus pauvres2,
à leurs physionomies les expressions les plus souf-
freteuses. Quelle différence avec la piété italienne,
qui, pour être sincère et profonde, n’en conservait
pas moins, comme le paganisme, le culte de la
forme et n’avait rien de déprimant ! Mais qui ne
se rappelle immédiatement combien de hautes qua-
lités — pléthore de vie et de mou-
vement, puissance dramatique
portée au paroxysme, entente de
l’art de la draperie, tour à tour
fouillée ou vibrante, révélation du
paysage — ont compensé ces dé-
fauts !
La peinture flamande n’a qu’une
corde à son arc et ne sait faire en-
4ttribuées à Jacquemart tendre qu une seule note j je veux
de Hesdin
(Bibliothèque Nationale) 1. L’un des premiers, notre maître à
tous, le marquis cle Laborde, à montré
de quel poids le goût flamand a pesé, au xtve siècle, sur l’art
français, combien il l’a fait dévier, vers quels abîmes il l’a
entraîné.
2. Pour être juste, sachons reconnaître que, dans la
peinture italienne également, et surtout dans l’école de
Sienne, la laideur a ses fervents. Que l'on examine les compositions du tendre,
du suave, du séraphique Simone Martino, autrement dit Simone Memmi. Ses ac-
teurs de la Passion et même ses Prophètes (à supposer que les fresques de la Salle
du Consistoire, à Avignon, soien t de lui) se distinguent par la vulgarité ou la bas-
sesse de leurs traits : barbes rousses, nez en forme de pieds de marmite, ex-
pressions bestiales. Si dès lors les artistes cédaient à la tentation de confondre
le caractère avec le style, ils obéissaient plus encore, n'en doutons pas, au désir
de donner aux malfaiteurs la physionomie la plus repoussante; ils croyaient
remplir leur devoir de chrétiens en rendant les bourreaux du Christ aussi haïs-
sables que possible, et en faisant de leurs visages le miroir de leurs âmes.
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
brutalité J, tantôt de mièvrerie. Ce n’était ni la fine raillerie gauloise,
ni les sarcasmes à l’emporte-pièce chers aux Italiens. La caricature
même, avec les formes littéraires qu’elle comporte, n’y entrait que
pour une faible close. Par contre, la lourdeur et la laideur leur appa-
raissaient comme la condition sine qua non du caractère. A leur ca-
non du corps humain les artistes flamands se plai-
saient à donner les proportions les plus trapues,
(est-il nécessaire de rappeler les Prophètes de Clanx
Sluter?) à leurs types les traits les plus pauvres2,
à leurs physionomies les expressions les plus souf-
freteuses. Quelle différence avec la piété italienne,
qui, pour être sincère et profonde, n’en conservait
pas moins, comme le paganisme, le culte de la
forme et n’avait rien de déprimant ! Mais qui ne
se rappelle immédiatement combien de hautes qua-
lités — pléthore de vie et de mou-
vement, puissance dramatique
portée au paroxysme, entente de
l’art de la draperie, tour à tour
fouillée ou vibrante, révélation du
paysage — ont compensé ces dé-
fauts !
La peinture flamande n’a qu’une
corde à son arc et ne sait faire en-
4ttribuées à Jacquemart tendre qu une seule note j je veux
de Hesdin
(Bibliothèque Nationale) 1. L’un des premiers, notre maître à
tous, le marquis cle Laborde, à montré
de quel poids le goût flamand a pesé, au xtve siècle, sur l’art
français, combien il l’a fait dévier, vers quels abîmes il l’a
entraîné.
2. Pour être juste, sachons reconnaître que, dans la
peinture italienne également, et surtout dans l’école de
Sienne, la laideur a ses fervents. Que l'on examine les compositions du tendre,
du suave, du séraphique Simone Martino, autrement dit Simone Memmi. Ses ac-
teurs de la Passion et même ses Prophètes (à supposer que les fresques de la Salle
du Consistoire, à Avignon, soien t de lui) se distinguent par la vulgarité ou la bas-
sesse de leurs traits : barbes rousses, nez en forme de pieds de marmite, ex-
pressions bestiales. Si dès lors les artistes cédaient à la tentation de confondre
le caractère avec le style, ils obéissaient plus encore, n'en doutons pas, au désir
de donner aux malfaiteurs la physionomie la plus repoussante; ils croyaient
remplir leur devoir de chrétiens en rendant les bourreaux du Christ aussi haïs-
sables que possible, et en faisant de leurs visages le miroir de leurs âmes.