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GAZETTE DES BEAUX-ARTS
le plus peut le moins. Or, après avoir donné le souffle à une ligure,
lui faire faire telle ou telle grimace n’est plus qu’un jeu.
Je n’insisterai pas sur le psautier de Beauneveu : il me suffira
de rappeler que l’ornementation, à la fois minutieuse et sans no-
blesse, manque essentiellement de liberté, et que l’architecture est
de tout point conventionnelle.
J’en dirai autant de la Bible du musée Westhreen, à la Haye,
enluminée par Ilennequin de Bruges (Jean de Bandol), pour le roi
Charles V (avant 1380). Prenons le frontispice, où l’on voit
ce souverain acceptant le manuscrit que lui offre un per-
sonnage agenouillé devant lui1.
La tête du roi, quoique mal
construite, est individualisée
non sans habileté. Mais à peine
si, dans le dessin du corps, l’ar-
tiste s’est montré familiarisé
avec les notions anatomiques
les plus élémentaires : voyez
plutôt ces bras atrophiés, ces
mains longues et articulées
(’omme celles de la race simies-
que, ces doigts qui n’en finissent
pas ! Quant au personnage age-
nouillé, c’est une véritable cari-
cature; il mesure à peu près la
moitié de la taille du roi (est-ce en signe d’humilité?) et tout en lui,
torse, jambes, bras, est absolument conventionnel. En un mot, nul
germe d’art nouveau dans cette page célèbre.
Que sera-ce si nous examinons les miniatures qui ornent le corps
même du manuscrit ! Elles rappellent le passé plutôt qu’elles n’an-
noncent l’avenir. Les fonds se composent généralement d’un guil-
lochis, ce qui exclut l'intervention du paysage, et les draperies sont
encore toutes gothiques. Quant aux types, ils ne brillent, d’ordinaire,
que par la laideur ; on remarquera, entre autres, l’incorrection du
dessin des pieds. Si YHistoire d’Adam et d’Ève ou la Moisson du
folio 125 comprennent des petites figures jolies et libres, voire spiri-
tuelles, si les intentions réalistes ne font pas défaut, il n’est, par
contre, aucun de ces traits qui se rattache au réalisme des van Eyck.
Dans la Bible historiale du duc de Berry (Bibliothèque Natio-
1. Voir Gazette des Beaux-Arts, 3e pér., t. XIX, p. 39.
MINIATURE DES GRANDES HEURES DU DUC DE RERRY
(Bibliothèque Nationale.)
GAZETTE DES BEAUX-ARTS
le plus peut le moins. Or, après avoir donné le souffle à une ligure,
lui faire faire telle ou telle grimace n’est plus qu’un jeu.
Je n’insisterai pas sur le psautier de Beauneveu : il me suffira
de rappeler que l’ornementation, à la fois minutieuse et sans no-
blesse, manque essentiellement de liberté, et que l’architecture est
de tout point conventionnelle.
J’en dirai autant de la Bible du musée Westhreen, à la Haye,
enluminée par Ilennequin de Bruges (Jean de Bandol), pour le roi
Charles V (avant 1380). Prenons le frontispice, où l’on voit
ce souverain acceptant le manuscrit que lui offre un per-
sonnage agenouillé devant lui1.
La tête du roi, quoique mal
construite, est individualisée
non sans habileté. Mais à peine
si, dans le dessin du corps, l’ar-
tiste s’est montré familiarisé
avec les notions anatomiques
les plus élémentaires : voyez
plutôt ces bras atrophiés, ces
mains longues et articulées
(’omme celles de la race simies-
que, ces doigts qui n’en finissent
pas ! Quant au personnage age-
nouillé, c’est une véritable cari-
cature; il mesure à peu près la
moitié de la taille du roi (est-ce en signe d’humilité?) et tout en lui,
torse, jambes, bras, est absolument conventionnel. En un mot, nul
germe d’art nouveau dans cette page célèbre.
Que sera-ce si nous examinons les miniatures qui ornent le corps
même du manuscrit ! Elles rappellent le passé plutôt qu’elles n’an-
noncent l’avenir. Les fonds se composent généralement d’un guil-
lochis, ce qui exclut l'intervention du paysage, et les draperies sont
encore toutes gothiques. Quant aux types, ils ne brillent, d’ordinaire,
que par la laideur ; on remarquera, entre autres, l’incorrection du
dessin des pieds. Si YHistoire d’Adam et d’Ève ou la Moisson du
folio 125 comprennent des petites figures jolies et libres, voire spiri-
tuelles, si les intentions réalistes ne font pas défaut, il n’est, par
contre, aucun de ces traits qui se rattache au réalisme des van Eyck.
Dans la Bible historiale du duc de Berry (Bibliothèque Natio-
1. Voir Gazette des Beaux-Arts, 3e pér., t. XIX, p. 39.
MINIATURE DES GRANDES HEURES DU DUC DE RERRY
(Bibliothèque Nationale.)